KAPITAL

Les Suisses malins achètent à Berlin

Un appartement dans un quartier branché de la capitale allemande coûte encore quatre fois moins cher qu’à Londres. Mais ces prix imbattables commencent à gonfler sous la pression d’une forte demande. Le bon moment pour acheter.

L’acquisition a mis un formidable coup de projecteur sur le marché de l’immobilier berlinois. Début 2007, Brad Pitt et Angelina Jolie, le couple de plus courtisé d’Hollywood, s’offrent un loft de 600 m2 dans le quartier de Mitte, non loin d’Alexanderplatz, cœur de l’ex-Berlin-Est et haut lieu de l’architecture socialiste de l’époque. Le signal est clair: la valeur de l’immobilier dans la capitale allemande, depuis longtemps maintenue à un niveau plancher en raison d’une économie locale dans un état déplorable, pourrait bien décoller face à la popularité grandissante dont jouit la ville en tant que centre artistique, intellectuel et politique.

«Berlin est devenu depuis quelques années la cible préférée des investisseurs immobiliers en Allemagne et l’une des plus importante en Europe», explique Martin Bernhard, analyste immobilier au Credit Suisse. Sans surprise, les prix des appartements ont augmenté. Ceux des quartiers les mieux cotés comme Mitte ou Prenzlauer Berg ont bondi d’environ 20% entre 2007 et 2011, selon le Credit Suisse. A Mitte en particulier la demande a explosé: le bureau local du géant de l’immobilier Engel & Völkers a enregistré 12’000 recherches d’appartements l’année dernière, contre seulement 3’000 nouvelles constructions de logements et un taux de rotation dans les anciens bâtiments clairement insuffisant pour satisfaire les clients. Encore sous pression, les prix ont progressé de 5% au premier trimestre 2012 seulement. Certaines rues prisées comptent désormais des penthouses à 15’000 euros le mètre carré. Plus au sud, le quartier populaire de Kreuzberg n’a pas non plus été épargné par cette hausse, selon Tamara Lee, qui vient d’y acquérir un logement et continue de sonder les offres pour des amis étrangers: «J’ai visité des deux pièces à 55’000 euros en septembre dernier, raconte cette ancienne Lausannoise. Aujourd’hui, de tels appartements atteignent facilement 70’000 euros.»

Dans un tel contexte, vaut-il encore la peine d’acheter? «Il n’y aucune raison de penser que la pression sur les prix va diminuer dans les deux à trois prochaines années», répond Martin Bernhard, qui avance différents arguments: «Contrairement à d’autres grandes capitales, Berlin n’a pas connu de boom de l’immobilier dans les années 2000. Les prix sont encore extrêmement bas en comparaison avec des villes comme Paris ou Londres, où les appartements dans le segment haut de gamme sont en moyenne quatre à cinq fois plus chers.» Même en tenant compte des différences de salaires dans ces métropoles, Berlin reste de loin la meilleure marché, poursuit le spécialiste: «Le rapport entre les prix et le revenu moyen frôle encore le plancher, ce qui indique une grande accessibilité à la propriété et un fort potentiel de croissance. Pour atteindre la moyenne européenne, les prix ont encore une marge de 10 à 20%.»

Des jeunes Suisses investissent

Lors de ses visites d’appartements à Kreuzberg, où cohabitent immigrés turcs, artistes et jeunes professionnels branchés, Tamara Lee observe la très forte demande pour des appartements bon marché: «Nous sommes souvent 20 à 30 personnes à visiter les lieux en même temps. Il s’agit avant tout des jeunes voulant profiter des dernières opportunités. Le plus étonnant, c’est que ces gens n’ont à première vue pas un profil de propriétaire immobilier. Pour schématiser, ils viennent casque à vélo sous le bras, avec des jeans troués et des Converse aux pieds.»

Fraichement diplômé de l’ECAL, Fabien Gehrig, 24 ans, a décidé d’investir son compte d’épargne dans un pied-à-terre à Berlin — un bien qu’il ne pourrait en aucun cas s’offrir en Suisse. Ce résident lausannois connaît déjà bien la ville et ses clubs réputés, où il exerce régulièrement une activité de DJ en «groovy techno». Lui et deux amis suisses avec lesquels il s’est associé pour cet achat viennent de repérer un deux pièces entièrement remis à neuf, situé au cœur de Kreuzberg. «Nous comptons louer une des chambres en permanence à des touristes et utiliser l’autre pour nos séjours à Berlin. A plus long terme, je pourrais bien imaginer m’y installer.»

Outre la séduction qu’exerce la vie culturelle de la ville sur les étrangers, l’apport de capitaux externes est également favorisé par des taux de change attractifs et une forte reprise économique. L’Allemagne fait figure de havre de sécurité dans une Europe au bord du précipice. Certes, le taux de chômage à Berlin demeure le double du taux national (12,2% contre 6,7%), mais il a enregistré une importante baisse ces dernières années, annonçant une hausse des loyers et donc des revenus locatifs. L’emploi est soutenu par un secteur des services qui progresse notamment sous l’impulsion de l’industrie créative et du tourisme. Ce dernier est passé du simple au double depuis 2003, revalorisant au passage les arcades commerciales du centre-ville.

Des risques limités

Et ce n’est pas tout: l’Allemagne jouit de taux d’intérêt avantageux, qui ont diminué ces dernières années. «Les taux hypothécaires sont de l’ordre de 3 à 5%, explique Desiree Leinenbach, agent immobilière indépendante à Berlin. Mais il peut s’avérer difficile d’obtenir une hypothèque lorsqu’on ne réside pas dans le pays. Dès que le montant dépasse 100’000 euros, les banques veulent absolument s’assurer de la solvabilité du client.» Fabien Gehrig, malgré sa double nationalité suisse et allemande, a rencontré ce problème lors de sa recherche de financement: «Deutsche Bank avait d’abord accepté mais s’est rétractée au dernier moment. Nous avions prévu un apport en fonds propres de 48’000 euros à trois personnes pour un appartement à 160’000 euros. Je ne pense pas que mon statut d’indépendant les ait rassurés… Nous allons continuer à chercher.» Tamara Lee s’est elle aussi vue refuser un prêt pour son logement, qui coûtait 82’000 euros. «J’ai finalement tout payé d’un coup, ce qui n’est pas forcément avantageux du point de vue des impôts. En comptant les différentes taxes, les frais de notaire, les frais d’agent et les dépenses annexes, mon investissement a atteint 97’000 euros.»

Quant aux risques financiers de devenir propriétaire, ils paraissent assez limités, selon Martin Bernhard de Credit Suisse: «Je ne vois pas vraiment de danger à court terme. Le chômage se réduit et la demande de location est très élevée. Il n’y a pas non plus de signe de surchauffe au niveau de la construction. Les rendements locatifs tournent autour de 4 à 5%. Le risque principal reste que l’Allemagne subisse un fort ralentissement économique en raison de la crise européenne.» Desiree Leinenbach prévient quant à elle qu’il ne faut pas se tromper d’emplacement: «Les quartiers du nord de la ville perdent en attractivité, surtout avec la fermeture prévue de l’aéroport de Tegel. A Wedding on a même vu des prix reculer. Il faut plutôt se concentrer sur le sud, qui gagne en popularité, notamment avec la reconversion du vieil aéroport de Tempelhof en immense parc. A Neukölln, ces derniers mois les prix ont explosé.»

L’année dernière, Tamara Lee prenait son achat comme un pur investissement. Tombée sous le charme de Berlin, elle a finalement décidé de s’y installer. Pour elle, la situation est claire: «Il faut acheter maintenant et vite. Pas dans deux ans. Les prix montent, montent, montent.» Brad et Angelina n’ont sans doute pas dû s’attarder sur les aspects financiers au moment de s’offrir leur loft. Mais d’ici quelques années, leurs héritiers pourraient être surpris par la valeur de ce bien immobilier…
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«Prendre un agent est impératif»

Tamara Lee connaît bien l’immobilier berlinois. Née à Lausanne, cette Irlandaise d’origine qui a travaillé plusieurs années dans la finance à Genève se voit retirer son permis C lorsqu’elle décide de s’installer à Saint-Pétersbourg pour une durée de cinq ans. Ayant récupéré son deuxième pilier, la femme de 37 ans veut alors investir son argent intelligemment. Au moment où le taux de change avec l’euro atteint son niveau le plus bas en septembre dernier, un appartement à Berlin, une ville qu’elle apprécie «pour son juste milieu entre ordre germanique et bouillonnement artistique», lui semble un choix idéal. «J’ai commencé par parcourir les plus gros sites d’annonces comme Immobilienscout24.de et Immowelt.de mais la recherche depuis la Russie s’est vite révélée compliquée. A Berlin les propriétaires ne peuvent pas directement être contactés. La recherche passe par les agences, qui demandent à chaque fois de prouver sa solvabilité.»

Pour l’aider à trouver la perle rare, elle décide de faire appel à une agente indépendante connaissant bien les astuces du marché local. «Cela a été un choix décisif, souligne-t-elle. Cette personne a fait un boulot remarquable. Elle s’est battue pour ce mandat et m’envoyait régulièrement des photos et des vidéos des appartements qu’elle passait en revue. Au total, je suis venue en visiter 16 en personne avant de me décider pour un deux pièces entièrement rénové. Je ne voulais pas devoir réparer quoi que ce soit, ce qui arrive souvent lorsqu’on acquiert un appartement ancien à Berlin.»
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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.