KAPITAL

Plein feux sur Western Union

Les migrants envoient des sommes chaque année plus importantes vers leur pays d’origine. Une manne qui profite aux populations locales, mais aussi aux sociétés de transfert. Radiographie d’un business très lucratif.

Tambacounda, Sénégal. La petite salle d’attente est bondée. Les femmes assises sur des chaises en plastique discutent à voix basses. Les hommes, adossés contre les murs, s’épongent le front. La climatisation crachote un air glacial, qui ne parvient pas totalement à faire oublier la température extérieure dépassant 40 degrés. Seule la couleur jaune vif du panneau Western Union (WU) illumine la pièce. La couleur de l’argent.

Chaque jour, des dizaines de personnes viennent attendre ici les fonds envoyés par leurs familles installées en Occident. La salle d’attente ne désemplit jamais. «C’est vrai qu’à chaque fois que je viens, je dois attendre une bonne demi-heure avant d’être servi, rigole Babacar, un jeune Sénégalais de 30 ans. Mais ce n’est pas un problème. Ici au moins on est au frais et on vient pour une bonne raison: récupérer de l’argent!»

La Western Union assure l’envoi de fonds «cash to cash», c’est-à-dire en espèces. En quelques minutes, les billets donnés par un émetteur sont disponibles à l’autre bout de la planète dans la devise du receveur. Un système particulièrement efficace dans les pays en développement, notamment en Afrique, où le taux de bancarisation demeure très faible.

Babacar n’a pas de compte en banque. Les mains serrées au fond des poches de son boubou blanc, il attend un mandat de 350’000 francs CFA (environ 700 francs suisses), envoyé depuis la Suisse. «Mon cousin vit à Genève. Il m’envoie cet argent afin que je puisse monter mon imprimerie. C’est une somme que je n’aurais jamais pu amasser ici, ou alors il aurait fallu que j’économise des années. Grâce à cet envoi, je vais pouvoir vraiment me lancer dans la vie active, avoir ma propre entreprise.»

En 2009, la Western Union, filiale de First Data Corporation, a réalisé 196 millions de transactions inter-consommateurs dans le monde, pour un montant total dépassant 71 milliards de dollars. Forte d’un réseau de près de 430’000 agences réparties dans 200 pays (partenaires compris), l’entreprise américaine s’est imposée en deux décennies comme le leader incontesté des transferts d’argent dans le monde. On est loin de la petite entreprise télégraphique créée en 1851 dans le Colorado, sous le nom de New York and Mississipi Valley Printing Telegraph Company (lire l’encadré). La société réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires dépassant 5 milliards de dollars. Et ce n’est qu’un début.

Selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations, le nombre total de migrants dans le monde ne cesse d’augmenter. De 150 millions de personnes en 2000, il a atteint 214 millions aujourd’hui. Résultat: les fonds rapatriés par les expatriés vers les pays en développement s’envolent: de 83 milliards de dollars en 2000, ils sont passés à 336 milliards en 2008. Si en raison de la crise économique mondiale, l’année 2009 s’affiche en léger recul (-6%) cette baisse s’annonce passagère. La Banque mondiale prévoit d’ores et déjà une progression de 6,2% de ces montants en 2010, puis de 7,1% en 2011.

Actuellement, la Western Union s’accapare 22% du marché mondial. Une marge de progression importante qui séduit les marchés. Coté sous la barre des 18 dollars, le titre Western Union (WU) devrait atteindre une valeur de 21 dollars d’ici à trois mois, soit une progression de 17%, selon un consensus d’analystes. «Ce business progresse très rapidement, notamment vers les pays asiatiques et africains, constate Jean-Philippe Chauzy, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations, à Genève. Il faut bien comprendre que ces transferts sont particulièrement importants pour les pays du sud. Leur poids est considérable. En 2009, ils ont atteint 316 milliards, soit bien plus que l’aide publique internationale au développement (119,6 milliards de dollars en 2009, ndlr.).»

Dans ce contexte l’hégémonie de la Western, qui réalise des marges importantes sur les transactions, n’est pas du goût de tout le monde: «Western Union constitue le plus grand scandale financier de l’Afrique et personne ne semble s’en émouvoir, regrette l’auteur du blog tadalafil cialis 200mg. Cette entreprise se goinfre sur le dos des immigrés. Quand une personne souhaite envoyer 100 francs à sa famille, ça lui en coûte 120. Jamais, dans toute l’histoire financière, un opérateur n’a autant mangé grâce à l’immigration et donc n’a autant profité de la pauvreté des pays destinataires de fonds.»

Une critique pas totalement infondée puisque la Western Union se révèle l’un des opérateurs les plus chers du marché. «Afin d’améliorer l’aide aux pays en développement, la première chose à faire est de diminuer les coûts des transferts d’argent, estime Jean-Philippe Chauzy. Actuellement, ils demeurent assez chers, même si la tendance est à la baisse. En effet, l’émergence de petits acteurs spécialisés dans une région du monde, à côté des grands comme Western, entraîne une concurrence accrue et une baisse salutaire des tarifs.»

MoneyGram, créé aux Etats-Unis en 1988, s’affirme comme le principal rival du géant jaune. D’autres compagnies (Travelex, PayPal, Money Express, E-Gold, Webmoney…), ainsi que des banques se partagent le reste du gâteau. Néanmoins, grâce à son réseau d’agences très dense, la Western reste incontournable dans les régions les plus reculées, d’autant que son marketing communautaire très bien huilé fait mouche dans le monde entier.

A Dakar, Diatou vient de recevoir 100’000 francs CFA en cash (200 francs suisses) par la Western Union: «Je suis tombée malade il y a quelques semaines, explique cette femme d’une soixantaine d’années. Entre les factures qui se sont accumulées et les frais de santé, je n’arrivais plus à m’en sortir. J’ai demandé à ma famille en France de me dépanner.»

«La plupart de ces fonds servent à aider les familles restées au pays, note Jean-Philippe Chauzy. Les sommes sont utilisées pour améliorer le quotidien (nourriture, santé, éducation), mais rarement pour de l’investissement productif comme la création d’entreprise.»

A Genève, Ibra sort de l’agence Western Union de la gare Cornavin: «Chaque mois j’envoie entre 200 et 300 francs à ma famille, explique ce jeune homme qui travaille à l’Aéroport international de Genève. Aider la famille c’est normal pour moi. C’est la solidarité africaine, cela fait partie de notre culture.» Reste que cette aide peut avoir un effet pervers: «Les familles ont trop tendance à s’appuyer sur ces remises de fond, ce qui n’encourage pas forcément l’esprit d’entreprise, regrette Jean-Philippe Chauzy. Ce système a également un impact social fort. Les enfants, même s’ils reçoivent des jouets, ne sont pas forcément heureux de vivre au pays sans leurs parents expatriés en Occident.»
_______


_______

La Western en chiffres

430’000 agences dans le monde (partenaires compris)

200 pays couverts

120 devises différentes utilisées

5 milliards de chiffre d’affaires en 2009 (3,6 en 2003)

196 millions de transactions réalisées en 2009

71 milliards de dollars transférés en 2009 (25 en 2005)

Clientèle constituée à 88% de travailleurs immigrants
_______

Du télégraphe à internet

Créée en 1851 dans le Colorado, sous le nom de New York and Mississippi Valley Printing Telegraph Company, la société devient la Western Union Telegraph Company en 1856, après la fusion des lignes télégraphiques entre l’ouest et l’est des Etats-Unis. Grâce à une série de rachats de sociétés concurrentes au XIXe siècle, la Western devient la plus importante société internationale de radiocommunication à l’orée du XXe siècle. L’activité de transfert d’argent, lancée en 1871 aux Etats-Unis, reste longtemps marginale au sein de la Western. Il faut attendre plus d’un siècle avant que l’entreprise étende cette activité à l’étranger (1989). Dès lors, la progression est fulgurante. La première agence ouvre en Chine en 1994, puis le nombre de succursales explose: 50’000 en 1998, 140’000 en 2001, 430’000 aujourd’hui.
_______

Une version de cet article est parue dans Swissquote Magazine (no 6).