Fini le temps où les hommes devaient partager leur tube de crème avec leur compagne. Aujourd’hui, la plupart des marques proposent des soins spécifiques à leur usage. Réel besoin ou intox? L’avis des spécialistes.
Du bleu pétrole au noir, en passant par le bleu roi et le vert sapin: sur les étalages des parfumeries et des drogueries, les gammes des produits de soins pour hommes se déclinent en couleurs viriles. Et prennent toujours plus de place. Si Biotherm a été pionnière en la matière en lançant ses premiers produits en 1985, depuis, un grand nombre de marques lui ont emboîté le pas. Car ce marché connaît un essor fulgurant (lire ci-dessous).
Et pour cause: les hommes qui osent pousser la porte de ces bastions de la beauté sont toujours plus nombreux. «Notre clientèle masculine a changé, témoigne Cédric B., conseiller en parfumerie à l’aéroport de Genève. Elle n’est plus uniquement composée de gays et d’hommes d’affaires.»
Une évolution que confirme Françoise Courdier, responsable du stand Clarins chez Manor: «Les quantités que nous commandions il y a encore une année ne suffisent plus, nous sommes en rupture de stock.» Elle
estime à 20% la proportion d’hommes parmi sa clientèle. Même constat chez Globus, à Zurich: «Les cosmétiques pour hommes constituent un marché en constante évolution depuis quelques années, renchérit Danila Hug, vendeuse en parfumerie du grand magasin zurichois. Les catégories qui ont le plus de succès auprès des hommes sont dans l’ordre les produits de rasage, les parfums et les soins pour la peau.»
Ce succès est-il dû à la performance de ces produits, ou à l’efficacité des campagnes publicitaires? Selon les spécialistes, il ne s’agit pas uniquement d’un phénomène de mode. Cette tendance à la hausse semble correspondre à un besoin concret et bien réel. Le comportement des hommes face aux soins de beauté nécessite une réponse différente.
«La peau masculine est plus sensible car davantage soumise aux agressions, notamment à celle du rasage quotidien», précise Eni Yarden, directrice de Masculin Center à Lausanne, le tout premier institut de soins pour hommes inauguré en 2001. Par ailleurs, la différence de qualité entre la peau des hommes et celle des femmes a un impact direct sur la conception des produits. «Les hommes ont une peau plus grasse, plus épaisse, qui exige des crèmes avec une texture fine et légère», relève Danielle Bryner, porte-parole suisse de L’Oréal. «Ils préfèrent la consistance des gels, plus hydratant et qui pénètre directement dans la peau», dit Danila Hug.
Sur le plan psychologique, les hommes ont des attentes plus rationnelles et terre à terre. «Ils recherchent avant tout un certain confort et des produits simples d’utilisation», poursuit Eni Yarden. Un constat que partage Christelle S., une consœur de l’institut Clarins, chez Manor Genève: «A la limite, ils ne veulent même pas savoir ce que contiennent les produits. En revanche, ils exigent qu’ils soient pratiques et qu’ils ne collent pas.» «Les hommes veulent des produits qui s’appliquent rapidement et qui donnent des résultats», renchérit Daniel Perrenoud, dermatologue à Lausanne.
Spermine en tube
Quant à l’efficacité réelle de ces produits d’un point de vue dermatologique, elle équivaut à celle des produits plus spécifiquement féminins. «Une crème ne pourra jamais effacer les rides. Les cosmétiques ne font pas de miracles, concède Cédric B. Toutefois, les hommes ont raison d’en utiliser, ne serait-ce que pour se protéger des agressions quotidiennes qui participent au vieillissement prématuré de la peau.»
Eni Yarden a un avis plus tranché: les produits proposés par la grande majorité des marques «évitent la déshydratation et regonflent les cellules mortes mais n’agissent pas au niveau du derme». C’est pourquoi, l’esthéticienne lausannoise recommande plutôt, à ceux qui veulent conserver une apparence de jeunesse éternelle, les «cosméceutiques», des produits à la croisée entre la cosmétique et le médicament. A l’exemple de la spermine, un antioxydant d’origine naturelle capable de pénétrer jusque dans le derme, là où le vieillissement de la peau a lieu.
Pour Daniel Perrenoud, dermatologue, ce combat est dépassé. «Les cosmétiques sont devenus actifs et agissent donc efficacement à condition de les utiliser régulièrement et sur le long terme.» En matière d’offre, les hommes n’ont donc rien à envier aux femmes. En matière de coquetterie non plus. «Les hommes entre 20 et 40 ans font de plus en plus attention à leur peau et à leur apparence, constate encore Daniel Perrenoud. Mais, ils ont trop tendance à gâcher leur bénéfice génétique en négligeant les méfaits du soleil alors qu’un simple écran total appliqué au quotidien les protégerait.»
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Un marché en pleine explosion
Selon l’Association suisse des cosmétiques et des détergents (SKW), le marché cosmétique masculin a progressé de 39% en Suisse entre 2004 et 2008. Un secteur à fort potentiel auquel les grandes marques prêtent une attention particulière.
«Nous avons observé ces dernières années une réelle évolution de ce marché, très dynamique», confirme Danielle Bryner, porte-parole suisse de L’Oréal. Le groupe est leader dans les produits de beauté pour hommes, notamment grâce à Biotherm.
Quant à Clarins, numéro 2 sur le marché masculin en Suisse, il affiche une croissance annuelle de 10% depuis le lancement de sa gamme Clarins Men en 2002.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 2).