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Têtes grises, mais pas toujours pleines

L’action menée à Strasbourg contre la Suisse par les «Aînées pour la protection du climat» relève d’un juridisme bien dans l’air du temps. Et d’une curieuse ignorance des processus démocratiques.

Il n’y a pas que les Blocs Noirs. Pas que de juvéniles militants aux mains gluantes prônant la rébellion pour cause d’extinction. Voici également, en rangs à peu près aussi serrés et énervés, les têtes chenues. Rien de plus rassembleur désormais que le climat, surtout quand il péclote.

Oui, voici donc les «Aînées pour la protection du climat», un groupe de rentières AVS, autrefois on aurait dit de panthères grises, qui se mêlent de traîner la Suisse devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Au nom du droit à la vie, rien que cela, qui serait menacé par le manque d’ambition de la politique suisse concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ce manque d’ambition est sans doute avéré, ou en tout cas scientifiquement étayé, ne serait-ce que par les rapports du GIEC. Mais le même reproche, sans doute aussi, peut être adressé, à quelques nuances près, à tous les États.

On souhaite au surplus, bon courage aux juges de Strasbourg pour déterminer, en droit strict, la limite exacte entre une politique climatique ambitieuse et une qui ne le serait pas.

Surtout que le droit n’est pas une science. C’est tellement vrai que la plainte des Aînées contre le Conseil fédéral – qui a été froidement jugée irrecevable par toutes les instances nationales – semble susciter au contraire un bel intérêt devant la Cour internationale.

Le Tribunal fédéral a par exemple décrété que les plaignantes n’étaient pas suffisamment impactées dans leur droit à la vie par les mesures trop molles du gouvernement, pour bénéficier d’une protection administrative.

Là est peut-être à la fois le mérite et l’erreur des Ainées. Elles ont su parfaitement renifler l’air du temps en se présentant comme un public particulièrement vulnérable aux effets du dérèglement climatique, air du temps qui veut désormais qu’on réclame des mesures globales en défense d’intérêts particuliers.

«La chaleur tue», a prétexté l’avocate de plaignantes, et elle tuerait davantage les aînés. Ce n’est sans doute pas faux. Mais on peut dire la même chose simplement de l’âge: c’est un fait plutôt bien avéré, quel que soit l’état du climat, que les vieux meurent plus fréquemment que les jeunes.

Surtout, s’il y a bien quelque chose d’universel, qui concerne chacune et chacun, c’est le climat. En poussant un peu loin le bouchon de la mauvaise foi, on pourrait dire que ce sont justement les personnes âgées, vu leur espérance de vie, qui ont le moins de chance de sérieusement subir les effets d’un climat devenu fou, et supposé l’être chaque année un peu plus.

Dans cette affaire, qui ne concerne pas que la Suisse c’est peut-être l’Irlande qui a mis le doigt sur le point le plus délicat: laisser une cour internationale dicter des mesures de politique climatique, cela «mettrait en péril le processus démocratique».

De fait, dans une démocratie comme la Suisse, le gouvernement, désigné par un parlement lui-même élu par le peuple, décide la politique climatique, qui est donc in fine, décrétée par la souveraineté populaire.

Laquelle souveraineté, au vu des représentants qu’elle élit, semble pour l’heure moins effrayée par les conséquences du réchauffement que par la politique de sobriété énergétique drastique que recommandent les experts scientifiques.

On peut s’en désoler, sans pour autant juger illégitime les décisions d’un monde politique légitimement élu, au seul prétexte que ces décisions ne nous conviennent pas. Sans réclamer, non plus, comme les Aînées, 500 000 francs en guise de «réparations».

Surtout que les nombreuses dictatures à l’œuvre dans le monde, qui n’ont pas à s’encombrer d’une opinion populaire rétive et attachée à son confort, appliquent pourtant encore moins les recommandations du GIEC.