LATITUDES

«Ressentéisme» et les autres mots d’avril

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «ressentéisme» «polycrise» et «gymtimidation».

Ressentéisme

La mutation qui s’opère dans le rapport au travail génère un grand nombre de néologismes. Depuis la pandémie, les salariés qui le peuvent privilégient leur santé mentale à leur activité professionnelle. En découlent, les phénomènes de «grande démission», «quiet quitting», «quick quitting», «quiet firing», «conscious quitting», «rage quitting» ou «présentéisme». Le ressentéisme, formé à partir du verbe anglais «to resent», qui signifie «en vouloir», «être contrarié par», vient s’y ajouter.

Ce terme caractérise le fait de conserver, par souci de sécurité, un emploi qui suscite du ressentiment. A l’opposé du «quiet quitting», le ressentéisme n’est pas silencieux, il consiste à se comporter de sorte que tout le monde en prenne conscience.

Selon RotaCloud, fabricant de logiciels de gestion du personnel à l’origine du concept, non seulement ces salariés sont frustrés par leur situation professionnelle et continuent à travailler, mais leur humeur serait contagieuse. En un rien de temps, elle se répandrait au sein de toute une équipe. Le magazine Fortune craint une contagion de cette frustration et une baisse de la productivité. Inquiétés par ce danger, certains RH n’hésitent pas à rappeler aux ressentéistes que leur travail n’est qu’un travail, qu’il n’a pas besoin d’être l’alpha et l’omega de leur vie. Un discours à même de répondre au malaise ressentéiste?

Polycrise

Le 19 janvier 2016, Jean-Claude Junker, le président de la Commission européenne, avait employé le terme «polycrise» dans un discours prononcé pour décrire le caractère multidimensionnel de la crise traversée par l’Union européenne. Depuis la tenue du WEF, ce qualificatif est devenu «le mot de Davos 2023», parce qu’à même «d’exprimer les enjeux économiques du moment». La prégnance de ce vocable ne cesse de s’élargir car il permet de saisir la complexité de la situation actuelle et la difficulté à y faire face. Il entrera à n’en pas douter dans la prochaine édition des dictionnaires.

Chaque jour, l’ensemble complexe de plusieurs crises entremêlées et interdépendantes qu’est une polycrise se vérifie avec un impact global plus élevé que la somme de leurs impacts isolés. Anxiété collective et incertitude résultent de cette expression d’un incontestable dysfonctionnement planétaire auquel même ChatGPT n’apporte pas de réponse satisfaisante.

Et dire que cet hiver, dans la station grisonne, on osait encore associer polycrise à cialis shopping on line!

Gymtimidation

La gymtimidation n’est pas une nouvelle activité sportive. Contraction de «gym» et «intimidation», elle désigne une anxiété, pouvant aller jusqu’à une phobie, éprouvée par certaines personnes dans les salles de sport. Nommée depuis peu gymtimidation, cette gêne suscitée par le regard des autres toucherait un tiers des adhérents aux clubs de fitness.

Cette crainte d’être scruté, jugé ou moqué, concerne aussi les écolières et écoliers à l’heure de la leçon de gym. Ainsi, contraintes de se doucher nues au terme d’une leçon de gymnastique, deux adolescentes suisses allemandes viennent de susciter un débat. Peut-on forcer des élèves à se retrouver nu(e)s devant leurs camarades? Réponse du Manuel fédéral d’éducation physique: oui car les ablutions font partie de la leçon. Elles ont des vertus hygiéniques et sociales. Dans les cantons de Vaud et de Genève, non, car la douche y est encouragée mais pas obligatoire.

Les futures demandes de dispense de gymnastique s’appuieront-elles sur la gymtimidation dont souffre certains enfants ou ados?