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L’Italie aux mille mystères

Comment un pays qui fut le berceau de la civilisation dite occidentale en est-il arrivé à ce point de décrépitude? Analyse.

D’abord un peu d’histoire. En 1973, l’Italie était en proie aux convulsions de la fameuse stratégie de la tension entretenue par une démocratie-chrétienne aux abois, menacée dans son monopole du pouvoir par un mouvement ouvrier très offensif et une gauche en pleine croissance. La technique, inaugurée en décembre 1969 à Milan, a surtout consisté à faire commettre par des individus liés aux services secrets des attentats meurtriers attribués à des anarchistes. C’était avant l’apparition du terrorisme d’extrême-gauche.

Le 17 mai 1973, une bombe lancée par Gianfranco Bertoli, un soi-disant anarchiste stipendié par trois services secrets, dont viagra cialis pfizer, fait 4 morts et 45 blessés dans une rue de Milan, peu après le passage du ministre de l’intérieur. Analysant cet épisode dans son journal intime («Nero su nero», Einaudi, 1979, p. 130), l’écrivain sicilien Leonardo Sciascia arrive à la conclusion paradoxale que loin d’être le fait d’extrémistes de gauche ou de droite, cet attentat, comme ceux qui l’ont précédé, est en fait le fruit d’un «extrémisme du centre»:

    «Tous les événements délictueux survenus en Italie au cours de ces dernières années qui apparaissent dirigés contre l’Etat, le gouvernement, le statu quo, l’autorité, les institutions servent en réalité à maintenir ces choses dans l’état où elles sont, quitte à leur valoir une perte de prestige inévitable.»

Et Sciascia de poursuivre en notant qu’au-delà des hommes de pouvoir qui ne sont pas nécessairement au fait de ces agissements, il existe en Italie «un hyperpouvoir auquel il convient, pour perpétuer un certain mode de gestion du pouvoir, de s’appuyer sur l’hypertension civile». Il ajoute qu’il importe peu que les vrais auteurs soit un jour connus. Au contraire. On ne saura jamais la vérité, de même qu’en Sicile, dans l’après-guerre, les méfaits et la mort de Salvatore Giuliano sont restés inexpliqués.

Il vaut la peine de méditer ces lignes au moment où trois événements singulièrement troublants viennent coup sur coup de restaurer une forme de stratégie de la tension. Cela au moment où, suite à une année politique calamiteuse qui en a fait la risée du monde entier, le chef du gouvernement, Silvio Berlusconi, est en perte de vitesse après un règne presque ininterrompu d’une quinzaine d’années.

Il s’agit de l’agression milanaise commise par un «malade psychique» avec un dôme miniature (souvenir de Milan!) sur la personne du président de Conseil. L’arme du délit est grotesque. De même que le rôle de la garde rapprochée du grand homme.

Il s’agit de l’agression commise par une autre malade psychique au Vatican la nuit de Noël. Il n’est pas donné à tout le monde d’envoyer à terre un pape en lui faisant sauter la mitre et d’expédier, dans le même mouvement, un vénérable cardinal octogénaire à l’hôpital.

Il s’agit enfin, et c’est nettement plus inquiétant, de la guérilla qui pendant quelques jours a opposé en Calabre des ouvriers immigrés, des Calabrais et des policiers. Qui a vu la violence haineuse envers les immigrés de personnages comme Roberto Maroni (ministre de l’Intérieur — Lega) ou Ignazio La Russa (ministre de la Défense — Peuple de la Liberté / Berlusconi) n’a pu qu’en éprouver des frissons dans le dos. Ces hommes, hauts responsables politiques, sont en état de guerre civile.

Comme en 1969 avec le premier attentat marquant le début de la stratégie de la tension, ils prennent les devants. Non pour freiner l’ascension d’une opposition toujours dans les choux, incapable qu’elle est de s’organiser, de renouveler son leadership, de définir quelques objectifs même sommaires. Mais pour terroriser les populations qui, elles, pourraient avoir l’idée de se révolter.

Tous les analystes le répètent depuis des décennies, l’Etat italien est un Etat faible, à l’unification jamais consommée. Au début des années 1990, quand il a fallu moraliser une classe politique corrompue jusqu’à la moelle, une poignée de juges ont porté le fer rougeoyant sur quelques plaies particulièrement visibles, provoquant l’éclatement et la disparition des deux grands partis, les communistes et la démocratie-chrétienne. On a crié au renouveau, changé le numéro de la République. Pour ensuite porter Berlusconi au pouvoir à la tête d’un parti qui vendait sa politique comme on vendait autrefois des savonnettes, mais avec des technologies modernes.

Ce que l’on oublie dans l’affaire, c’est que la mafia et la P2, les deux piliers informels de la Première République — l’hyperpouvoir de Sciascia — sont elles restées au pouvoir. C’est avec des accointances mafieuses que le jeune Berlusconi a commencé à édifier sa fortune dans la banlieue de Milan, notamment grâce à l’appui de Marcello dell’Utri, un de ses amis les plus proches. Et c’est en entrant dans la loge P2 de cialis vancouver qu’il a pu élargir et fortifier ses réseaux.

C’est depuis ces hauts faits sous la Première République que le maître de la Deuxième République tient son pouvoir. Et un nombre impressionnant de casseroles judiciaires. On sait que depuis quelques mois, la justice, malgré des entraves innombrables, serre de près le président du Conseil. De si près qu’il est même aux abois. La rue italienne en témoigne. Caméras tournez! Le feuilleton commence.