GLOCAL

Montres de luxe: la nouvelle façon de se faire de l’argent ou de le placer

Alors que le secteur de la haute horlogerie peine à répondre à une demande croissante, les modèles les plus rares se négocient à des prix parfois stratosphériques sur le marché de seconde main. Entre investissement et spéculation, la frontière est parfois fine.

Les montres de luxe pourraient bien remplacer les cryptomonnaies aux yeux des amateurs d’argent facile et de gains spéculatifs. «Quelque chose se passe sur ce marché longtemps réservé aux amateurs éclairés, estime Stephan Ciejka, rédacteur en chef de «La Revue des montres». Traditionnellement, on se procure ce type de biens parce qu’il renvoie au parfum d’éternité de ces objets qui peuvent durer toute une vie. Mais aussi parce que c’est un investissement sûr pour celui qui cherche à transmettre un patrimoine. Certains modèles peuvent voir leur valeur grimper de 150% sur 5 ans.»

Un placement déjà imbattable par rapport à la plupart des produits financiers classiques, mais qui ne suffit pas à une nouvelle clientèle, davantage motivée par le pur intérêt financier que par l’amour des beaux garde-temps.

Du placement à la spéculation

«Le marché s’est considérablement ouvert, ajoute Stephan Ciejka. Au début des années 90, il se limitait pour l’essentiel à l’Europe, aux États-Unis, au Japon et à Hong Kong. La chute du bloc soviétique et le boom du marché asiatique sont venus changer la donne.»

Karine Szegedi, responsable du secteur de la consommation chez Deloitte et autrice de leur neuvième étude consacrée au marché des montres suisses, confirme que les nouveaux acheteurs n’ont pas remplacé le public classique des amateurs de montres, mais s’y ajoutent: «De la Chine à la France et de Singapour aux Émirats arabes unis, ces nouveaux clients bouleversent les pratiques traditionnelles. Les détaillants voient de plus en plus de personnes arriver et acheter une montre sans même l’essayer pour réaliser un profit immédiat. Un modèle rare peut se revendre 50 à 100% plus cher quelques minutes plus tard dans un autre point de vente.»

L’arrivée des plateformes n’a fait que consolider cette tendance. À son niveau, chacun peut désormais se frotter à la spéculation en ligne. «Cela renforce la fluidité des échanges, mais aussi la transparence du marché, indique Karine Szegedi. L’explosion des sites de ventes aux enchères virtuelles comme eBay ou des plateformes spécialisées comme WatchBox ou Chrono24 permettent de suivre le cours de chaque modèle de manière transparente, comme pour une action cotée.»

Les raisons de ce boom

Cette tendance à l’explosion des prix s’explique en premier lieu par le caractère particulier d’un objet de grande valeur qui cumule les avantages: «Une montre, c’est léger, petit, solide, durable et facile à déplacer, résume Karine Szegedi. Tandis que l’or, c’est lourd, les tableaux demandent une expertise spécifique et on ne déménage pas facilement un bien immobilier.» Stéphane Ciejka est du même avis: «Il n’y a pas plus simple qu’une montre pour mettre son argent à l’abri. On peut passer discrètement la frontière avec elle à son poignet, avant de la mettre en sécurité au coffre ou de la revendre, qui plus est facilement. Dans des périodes compliquées, cela peut devenir une valeur refuge. »

La seconde raison n’est jamais que le résultat d’un vieil adage: ce qui est rare est cher. Or, l’offre de montres neuves ne suffit pas à répondre à la demande, explique Karine Szegedi: «Beaucoup de marques aimeraient augmenter leur production, mais n’en ont tout simplement pas les moyens à court terme. L’augmentation de la capacité de production prend des années. Mais l’annonce faite, entre autres, par Rolex et Audemars Piguet, disant qu’ils allaient investir dans de nouvelles manufactures, donne le ton.»

Les spéculateurs ne font finalement que jouer sur l’impatience de certains clients qui refusent d’attendre pour obtenir le modèle de leur rêve, quitte à l’acheter d’occasion. «C’est particulièrement vrai pour certains des modèles les plus emblématiques de Audemars Piguet, Patek Philippe ou Rolex, précise Stephan Ciejka. Les Rolex Daytona sont en rupture de stock depuis le début des années 90 et lorsque Patek Philippe a annoncé qu’ils cessaient la production des Nautilus 5711, leur valeur est montée en flèche.»

Mais les marques les plus connues ne sont pas les seules à constater ce phénomène et l’impatience des clients ouvre des opportunités à d’autres fabricants comme François-Paul Journe, observe le rédacteur en chef: «Des modèles qui se vendaient autour de 35’000 francs il a de cela cinq ans se négocient aujourd’hui pour 200’000 francs. Du moment que des gens sont prêts à payer des montres plus cher que le prix catalogue, on trouvera toujours des malins pour les leur fournir.»

Quelles limites?

Comme pour tout phénomène spéculatif, la question reste de savoir jusqu’où ce marché de seconde main peut aller. Or il donne toutefois quelques signes de ralentissement: «La majorité des marques ayant perdu en valeur sur le marché secondaire ces 180 derniers jours ont résisté, voire pris de la valeur ces six derniers mois, comme TAG Heuer ou Frederique Constant», relève Karine Szegedi.

Peut-on imaginer un effondrement de la valeur de tel ou tel modèle en vogue aujourd’hui? «À long terme, il n’y a jamais de garantie et rien ne dit qu’une montre particulièrement recherchée aujourd’hui sera toujours aussi prestigieuse dans dix ans, répond Stephan Ciejka. Mais cela fait une bonne trentaine d’années que les grandes références continuent de prendre de la valeur avec des performances bien supérieures à tous les autres placements financiers possibles.» Certains spéculateurs pourraient bien se brûler les ailes comme avec le Bitcoin, mais les montres de luxe semblent représenter actuellement un investissement plus sûr que bien d’autres.

_______

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans Blick.