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Genève, ou le retour des vieilles lunes

La bataille pour le Conseil des Etats au bout du lac pourrait faire croire que le clivage gauche-droite a retrouvé tout son sens. Sans doute un trompe-l’œil.

La mère de toutes les batailles. Ou, en tout cas, le plus attendu et médiatisé des duels qui émailleront le deuxième tour des élections fédérales le 12 novembre prochain. Une bonne vieille joute gauche-droite comme on en avait perdu le goût et l’habitude, un match à quatre pour le Conseil des Etats, à Genève. Avec, sur un côté du ring, en challengers, le MCG Mauro Poggia et l’UDC Céline Amaudruz, et sur l’autre, en tenants du titre, le socialiste Carlo Sommaruga et la verte Lisa Mazzone.

Que du lourd, autant dire. À ma gauche, une jeune diva rêvant déjà tout haut de Conseil fédéral et un éléphant plus rouge que rose, en bout de course mais solidement campé sur ses pattes. À ma droite, une populiste bruyamment décomplexée, et un modéré, se revendiquant du centre-droit, mais qui, par carriérisme, s’est affilié à un parti qui n’est ni l’un ni l’autre.

Bref un double attelage haut en couleur, un quarteron de fortes têtes prêtes à s’affronter front contre front. Le premier réflexe serait d’en conclure que voilà bien, ressurgissant en bout de lac, la preuve que gauche et droite sont encore des notions électorales riches de sens, contrairement à ce qui se proclame et s’écrit un peu partout.

Sauf qu’à observer la campagne, on pourrait être tenté d’arriver à la conclusion tout à fait inverse. Les arguments de vente des uns et des autres frôlent en effet chaque fois la caricature, le gros trait, le raccourci, révélant que, quoi qu’on fasse, la pensée bipolaire reste une façon assez simplette d’aborder, en gros sabots, la chose politique, par nature complexe.

À gauche, on sonne le tocsin, on crie à la République en danger et l’on n’hésite pas à présenter l’élection du 12 novembre comme un enjeu quasi de civilisation. «Les électeurs ont le choix entre un ticket qui représente un canton de Genève humaniste, solidaire, multiculturel, et un ticket populiste qui cherche sans arrêt des boucs émissaires, en pointant les frontaliers et les étrangers». Tant pis si en réalité les enjeux sont plus nuancés que la façon dont les résume le président du PS Genevois Thomas Wenger.

La candidate Lisa Mazzone n’hésite pas pourtant à en rajouter une bonne vieille couche: «Face au populisme et au repli sur soi, nous prônons l’ouverture, l’égalité entre homme et femme, la conscience environnementale et sociale.»

A droite, on ne se montre pas plus inventif. On se contente de célébrer l’union qui fait la force, cette Entente de bric et de broc réunissant le PLR, le MCG, l’UDC et Le Centre, qui avait déjà fonctionné lors des élections cantonales. L’alliance, l’union, l’entente, c’est bien, c’est beau, surtout en introduction d’un discours de cantine, mais pour faire quoi? Il semblerait qu’on s’en tienne pour l’heure à un seul pauvre argument: mettre fin à ces seize années où, en quatre mandats successifs, la gauche a trusté les deux sièges genevois du Conseil des Etats. C’est peut-être motivant, mais c’est aussi un peu court.

Surtout qu’il s’agit là d’une entente entre deux droites qui ne sont à peu près d’accord sur rien. L’une est pro-européenne, l’autre très anti. L’une, au nom de l’économie, est pour la libre circulation des personnes, l’autre tout à fait contre. Ce ne sont pas les seuls points de divergence. En août dernier, Céline Amaudruz, à propos d’un revers sur le burkini, traitait les cousins radicaux et centristes de «droite molle qui se couche devant l’islamisation de la société».

On retrouve donc dans cette bataille les poncifs habituels que traîne avec lui le vieux clivage gauche-droite: l’agitation de grands principes aussi creux que ronflants, et l’exigence d’alternance, le changement pour le seul plaisir de changer. Chacun dans ce contexte appelle au vote compact.

Au milieu, l’électeur épris de justice démocratique pourrait trouver à l’inverse plus logique d’envoyer à Berne deux personnes d’affiliation différente pour représenter le canton. Mais si cette notion de juste équilibre démocratique soufflait encore, si elle a même jamais soufflé, dans les états-majors des partis ou chez les militants, cela se saurait.