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La vie comme un Romand

Une Suisse romande supra cantonale pour survivre dans un monde globalisé? Ce ne serait sans doute jamais qu’un gros canton, juste un peu plus vide et artificiel que les structures actuelles. Analyse.

C’est le problème le plus fâcheux de la semaine. Au sens ancien, qui n’arrive plus cité qu’en dernier, même dans les bons dictionnaires: «Importun, casse-pieds». On veut parler bien sûr de cette scie: l’identité romande.

Un livre, certes respectable, du politologue François Cherix, et hop, c’est reparti pour une gigue médiatique endiablée: séries, dossiers spéciaux, tables rondes et autre forums. Le sujet a l’immense avantage de permettre à chacun de gloser à l’infini sur très peu de chose: un million et demi de nombrils en gros.

L’historienne Irène Hermann juge «fascinante» cette résurgence périodique d’une identité romande, mais les raisons qu’elle en donne n’ont pourtant rien de bien excitant. Une réaction aux présumées brimades alémaniques, d’abord, qui nous amène souvent à voir un röstigraben là il n’y a qu’un fossé ville-campagne, surtout en période de crise.

Un travers des medias, ensuite, qui chercheraient, en thématisant sur cette identité, à toucher un lectorat transcantonal plutôt que chichement régional. Et enfin la volonté naïve d’améliorer les institutions démocratiques. Tout cela reste extraordinairement flou, mille fois plus flou par exemple que le simple sentiment concret, vécu au jour le jour, d’appartenir, mettons, à la francophonie.

Quant à un supra gouvernement qui coifferait les cantons romands et que certains appellent de leurs vœux, que serait-il, sinon un gros canton, mais cette fois dans lequel plus personne ne se reconnaîtrait?

Même chose pour les cantons fusionnés: un canton Vaud-Genève, qui diable cela pourrait-il bien faire rêver? Et que dire d’un canton de l’Arc, où Neuchâtelois et Jurassiens se retrouveraient fondus sur l’autel du nouveau dieu qui a pour nom «Masse Critique»? Au nom du rejet de ces odieuses et surannées identités cantonales.

Pourtant, créer un, ou des supercantons, ce n’est pas abolir les identités, mais en programmer une plus lourde, plus mensongère, plus cynique, puisque basée sur le seul critère économique. Le paradoxe veut que, plus l’on propose de fusions de commune ou de cantons, moins on avance de bonnes raisons de vivre ensemble.

Qu’elles soient cantonales ou romandes, on ne parle là en réalité que de micro identités reposant largement sur des broutilles. L’amour d’une équipe de foot, d’un accent, de traditions douteuses, d’une gastronomie particulière, d’un caractère supposé grotesquement unique au monde.

Il est plus probable désormais que ce qui agite vraiment les individus dans leurs tréfonds, qu’ils soient de là, d’ici ou d’un peu plus loin, c’est de se sentir homme et de savoir ce que l’on pourrait bien mettre sous cette compliquée épithète.

Le côté artificiel, suranné, mort du débat sur les identités apparaît bien avec la question jurassienne, à nouveau sous les feux de la rampe avec la publication du rapport de l’Assemblée interjurassienne. Qui propose, comme on sait, via un vote populaire, la réunification du nord et du sud.

Oui, mais voilà ce n’est plus du tout la même chose, plus du tout les mêmes aspirations ni surtout les mêmes rêves et fantasmes. On est passé, comme le dit le correspondant jurassien du Temps, «d’un combat identitaire et de drapeaux dans les années 70» à «une affaire de raison, d’intérêts, de masse critique».

On voit que la question jurassienne n’est plus une question — avec ses doutes, ses fourvoiements, ses guerres, son théâtre. C’est devenu une affaire — avec ses calculs, ses PIB, ses budgets, ses administrations.

On réduit les communes de 113 à 6, on sort sa calculette et on trouve le chiffre mirobolant de 150 millions d’économies. Précieux. Sauf que cela fait nettement moins bander que la puissante emphase des poètes autonomistes de jadis: «Liberté, ta rivière partout m’accompagne».