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Les Suisses fous de vélo

L’usage de la bicyclette connaît un engouement sans précédent dans les villes romandes. Même les businessmen s’y mettent, grâce notamment aux modèles électriques. Mais les pouvoirs publics peinent à suivre.

Le vélo n’est plus l’apanage des étudiants fauchés ou des militants écologistes. Cravate et cheveux au vent, les cadres sont de plus en plus nombreux à se rendre au travail en pédalant. Ils ont compris les innombrables avantages de ce mode de déplacement, qui conjugue rapidité, santé et budget léger.

«Les Suisses romands se trouvent dans une dynamique de rattrapage par rapport aux Alémaniques, observe Delphine Klopfenstein, coordinatrice de l’association des cyclistes suisses Pro Vélo à Genève. C’est une tendance de fond. En deux ans, nous avons constaté une hausse de 30% des cyclistes à Genève, et de 70% à Lausanne.»

Fous de vélo, les Romands? Leur participation massive à l’événement «A vélo au boulot», organisé par Pro Vélo en juin, le prouve. Cette manifestation, qui invite les employés à se rendre au travail en deux-roues pendant un mois, a rassemblé plus de 4’600 participants francophones, soit une augmentation de 40% par rapport à l’édition précédente.

Quant aux succès des slowUp, ces rassemblements de mobilité douce réunissant des dizaines de milliers de cyclistes, il n’arrête pas de croître de ce côté de la Sarine. «Nous avons été très surpris par cet engouement en Suisse romande. Proportionnellement, les Romands sont plus nombreux que les Alémaniques à y participer», souligne Daniel Leupi, l’un des directeurs de la manifestation.

La technologie du vélo électrique vient par ailleurs doper considérablement le phénomène. L’an dernier, près de 6’000 exemplaires ont trouvé preneurs en Suisse, contre 3’200 en 2006. Et les spécialistes prédisent un nouveau doublement des ventes pour cette année!

L’engin cumule les atouts du vélo tout en ménageant son pilote: grâce au pédalage assisté, l’effort équivaut à celui de la marche. Cela séduit les derniers réfractaires qui n’apprécient pas l’intensité de l’effort physique quotidien (en particulier dans les villes en pente comme Lausanne) et qui ne peuvent pas se permettre d’arriver en sueur au travail.

L’usage de la bicyclette cumule tous les avantages. Tout d’abord l’aspect pratique: «Le vélo constitue le moyen de déplacement le plus rapide sur des distances de moins de trois kilomètres dans un milieu urbain dense», explique Giuseppe Pini, directeur de l’observatoire de la mobilité à l’université de Genève.

En outre, pédaler quotidiennement permet de garder la forme et de lutter contre l’excès pondéral. «Le vélo, pratiqué à intensité modérée et de manière régulière (environ 30 minutes par jour) augmente la dépense énergétique journalière et lutte ainsi contre les problèmes liés à la prise de masse corporelle et à la sédentarité.

Par rapport à la course à pied, il a l’avantage de ménager les articulations», précise Davide Malatesta, maître d’enseignement et de recherche à l’institut des sciences du sport de l’Université de Lausanne.

En matière d’aménagement du territoire également, le deux-roues apparaît comme un moyen efficace pour régler de nombreux problèmes, à commencer par la surcharge de trafic automobile qui paralyse et pollue les agglomérations aux heures de pointe.

Dans une ville comme Genève, le trafic motorisé est responsable de plus de 40% des émissions de CO2 et de 45% des oxydes d’azote, qui provoque allergies et asthme. Quant au bruit routier, il représente une nuisance pour presque la moitié des citadins, selon un sondage effectué par le Département du territoire du canton de Genève.

Pour finir, c’est la conjoncture économique mondiale qui, avec la hausse du prix des carburants, influe sur les choix de mobilité des individus et favorise l’usage du vélo sur les courtes distances. En prime, la bicyclette optimise l’espace urbain car elle n’encombre pas les rues et nécessite très peu de place pour le stationnement.

Rapidité, santé, silence et propreté, le vélo cumule les points forts. Mais malgré une progression fulgurante, son potentiel reste sous-exploité en Suisse romande: les Bâlois sont 20% à l’utiliser pour leurs déplacements quotidiens, contre moins de 10% des Romands. De ce côté de la Sarine, l’absence criante de parkings sécurisés, notamment aux abords des gares agit comme un frein à cette dynamique.

«Les individus ont des comportements de mobilité rationnels, analyse Giuseppe Pini. Ils ne modifieront leurs habitudes que s’ils y voient un avantage. Il faut donc les convaincre que le vélo est le moyen de transport le plus efficace sur de courtes distances, et qu’il est agréable de surcroît.»

C’est ce que les délégués vélos cantonaux tentent de faire en éditant des cartes, en donnant des cours pour la sécurité, ainsi qu’en subventionnant l’achat d’une bécane. Certaines entreprises commencent également à promouvoir le vélo parmi leurs collaborateurs, telles Bobst à Lausanne et Merck Serono à Genève: parkings couverts et sécurisés, vestiaires, douches, voire réduction sur l’achat, tout est fait pour encourager le cyclisme.

Si ces initiatives restent encore isolées en Suisse romande, elles n’en démontrent pas moins une nouvelle prise de conscience des bénéfices de la mobilité sur deux roues. «Au début des années 2000, les autorités ne nous prenaient pas au sérieux, ou au mieux pour un club de sportifs. Mais leur attitude à notre égard s’est radicalement modifiée, se réjouit Florence Germond, présidente de Pro Vélo à Lausanne. Lors du chantier du M2, nous avons réussi à imposer l’aménagement de parkings vélos à chaque station.»

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Un manque cruel de parkings couverts et sécurisés

Les villes alémaniques l’ont bien compris: les vols et les déprédations de vélos exaspèrent les cyclistes et constituent le premier frein à l’essor de la mobilité douce. Outre-Sarine, ce problème trouve sa solution: pas moins de 23 localités disposent déjà de vélostations, des parkings couverts et sécurisés aménagés en général dans les souterrains des gares.

À Bâle, la Mecque suisse du vélo, la capacité d’accueil dépasse les 1’500 places. Une bénédiction pour les nombreux travailleurs pendulaires qui bénéficient en tout temps d’une place sous surveillance — pour le coût d’un franc par jour ou 120 francs par année. Les locaux bâlois à 12 millions de francs abritent même un café et des douches, ainsi qu’un atelier où les utilisateurs de vélo électrique peuvent laisser leur batterie à recharger.

Et dans les grandes villes romandes? Rien. Pas l’ombre d’un plan concret pour les gares de Genève et Lausanne. Malgré les demandes insistantes des usagers, les autorités semblent totalement impuissantes. «Nous recevons de plus en plus de courrier à ce sujet, c’est un problème nettement d’actualité», reconnaît pourtant Alain Gonin, responsable au Service de la mobilité de Lausanne.

Si la situation tarde à évoluer, c’est d’abord que le prix des surfaces à proximité des gares s’avère dissuasif. Partout, les autorités locales et les CFF se renvoient la balle: «Pour qu’un parking à vélo fonctionne, il faut l’aménager dans la gare, or les CFF n’en veulent pas. Ils nous demandent de nous débrouiller sur l’espace publique», dénonce Barbara Pillonel du Service de l’aménagement urbain et de la mobilité de Genève.

«Un parking couvert coûte très cher et n’est jamais vraiment rentable en terme d’utilisation au m2, admet Jean-Louis Scherz, porte-parole des CFF. Nous sommes naturellement favorables à l’essor des vélostations, mais leur implantation ne dépend pas de nous. Elles sont établies et exploitées par les collectivités locales.»

Tenue de rentabiliser ses locaux mais également consciente que les cyclistes constituent autant de clients potentiels, la direction des CFF a toutefois dégagé un budget de 15 millions de francs. Cette somme doit permettre de promouvoir le stationnement dans les gares, au coup par coup, d’ici à 2011. Une soixantaines de villes sont concernées, dont une vingtaine en Suisse romande. Mieux que rien, même s’il manque une vision à long terme.

Et quand les villes tentent de s’affranchir du soutien des CFF, d’interminables recours tuent généralement dans l’œuf le premier projet venu. C’est notamment le cas à Fribourg, où l’Association transport et environnement (ATE) s’oppose à la construction d’une vélostation à deux pas de la gare, au prétexte que l’édifice doit aussi permettre d’abriter des voitures.

À Genève, une vélostation de 330 places devait finalement voir le jour à l’été 2009 derrière la gare de Cornavin, côté Montbrillant. Comble d’ironie, le projet a fait long feu suite à un recours des… CFF, qui envisagent de s’agrandir.

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Vélib à Genève: un projet en panne

Des vélos en libre-service contre des espaces publicitaires. Le concept, calqué sur le modèle parisien des Vélibs, semblait couler de source: comme à Paris, l’administration municipale genevoise s’apprêtait à offrir ses panneaux publicitaires au groupe JC Decaux, en contrepartie des 500 vélos répartis entre 40 stations. Le concept consiste à obtenir un outil performant de mobilité douce en laissant simplement le produit du marché publicitaire à l’exploitant.

Seulement voilà, le projet est au point mort, plombé par les recours juridiques.

«Tout est suspendu à cause des deux sociétés d’affichage qui postulent pour obtenir la concession, se désole Rémy Pagani, Conseiller administratif de la Ville responsable du département des constructions et de l’aménagement. L’entreprise JC Decaux cherche à garantir sa position et son concurrent Clear Channel veut mettre un pied dans ce marché. Une longue procédure d’arbitrage est entamée. Chacun joue au plus malin sur le dos de la collectivité et, pendant ce temps, nous regardons passer les balles.»

Comme le problème s’éternise, pourquoi ne pas confier ce mandat à un autre prestataire? «Impossible, rétorque le magistrat genevois. Les règles juridiques nous imposent de poursuivre la procédure en cours. Je commence à en avoir raz-le-bol. Arrivera ce qui arrivera…»

On évoque ici ou là un éventuel partenariat avec les Transports publics genevois pour mettre en place un réseau de vélos dans la ville compatibles avec les titres de transport TPG. Quoi qu’il advienne, ce qui reste sûr, c’est que la demande citoyenne est très forte.

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Mise en place pour la rentrée scolaire 2008, l’action Bike2school, organisé par Pro Vélo Suisse, incite les jeunes à l’utiliser leur bicyclette pour se rendre à l’école. Avec 10’000 élèves de 18 cantons inscrits, le bilan s’annonce déjà positif.

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Le vélo présente de multiples avantages pour les entreprises, qui sont de plus en plus nombreuses à encourager son usage. Pionnière en la matière, Novartis à Bâle a mis à disposition de ses employés une flotte de 2’600 vélos. L’entreprise a également relié ses différentes succursales par un réseau de pistes cyclables, aménagées en collaboration avec les autorités bâloises.

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A Lausanne, il sera possible d’embarquer sa bécane dans le nouveau métro M2, moyennant le prix d’un billet normal.

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Témoignages

Thierry Wolfrath, 52 ans, économiste, Lausanne:

«J’en avais assez du bruit et de la circulation. Et je voulais retrouver la forme. Il y a deux ans, j’ai donc échangé mon scooter contre un vélo pour effectuer les 4 km et 200 mètres de dénivelé jusqu’à mon lieu de travail. Le premier mois était pénible, puis je me suis habitué. J’ai perdu 10 kg et mon taux de cholestérol s’est nettement amélioré. Me rendre au travail à vélo est devenu un moment de détente. Je préfère cela que de m’enfermer dans un fitness.»

Thérèse Sigrist, 37 ans, pharmacienne, Lausanne:

«Je ne me considère pas comme une écolo militante mais lorsque je me suis installée au centre ville de Lausanne il y a deux ans, j’ai troqué ma voiture contre un vélo électrique. C’est pratique, rapide et avantageux du point de vue financier. J’utilise une remorque lorsque je transporte mes enfants de 2 et 5 ans ou mes courses. Je ne peux plus m’en passer pour les petits trajets. L’avantage de ce mode de déplacement dans une ville pentue comme Lausanne, c’est qu’on ne transpire pas. Le sentiment d’effort ressemble à celui de la marche. A Genève, où je travaille, un vélo classique m’attend à la gare pour traverser la ville.»

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Ce dossier a été réalisé en collaboration avec Ludovic Chappex. Il est paru dans le magazine L’Hebdo du 4 septembre 2008.