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Le bonjour de l’alien

Le passage d’Emmanuel Macron à Berne a été l’occasion d’un plaidoyer pro-européen dans un pays qui ne l’est plus du tout, mettant ainsi involontairement en relief, un abîme plutôt que des convergences.

Bien sûr «cher Alain, l’amitié ça s’entretient». Surtout avec 40 milliards d’échanges commerciaux à la clef. Bien sûr ce «Traité de paix perpétuelle» signé après la bataille de Marignan en 1515 mérite d’entrer au patrimoine de l’Unesco. Bien sûr les salaires suisses aspirent le personnel soignant de France voisine vers le CHUV et les HUG, au point de mettre en péril le système de santé hexagonal, et ça, cher Alain, c’est un peu embêtant.

Tout cela est important, bien sûr, tous ces sujets petits et grands abordés par le président français Emmanuel Macron lors de son passage à Berne, et de ses échanges avec son homologue suisse Alain Berset. Mais ce qui frappe, dans cette visite, c’est l’amplitude du plaidoyer pro-européen dans lequel s’est lancé le Président de la République.

Pour saluer avec enthousiasme aussi bien les innombrables bienfaits dont l’UE couvrirait ses membres, que l’excellence prétendue des relations particulières que la Suisse entretient avec l’Europe – alors que les relations en question sont au plus bas, pas loin de l’impasse, depuis la fin de l’accord cadre l’an dernier –, malgré quelques frémissements ces dernières semaines dans la bonne direction.

C’est au point que le parler macronien a du résonner sur le parvis bernois comme une langue à peu près étrangère. L’Europe serait donc cette structure miraculeuse qui permettrait, par exemple en matière de sécurité et de recherche, d’être «souverains et non dépendre de puissances lointaines qui ne partagent pas les mêmes valeurs que nous». Ce qui n’est pas faux: le principal point commun des 27 membres de l’UE est d’être, chacun à leur manière, d’authentiques démocraties, tout en restant encore largement maîtres chez eux.

A quoi est venu s’ajouter cette tarte à la crème que plus personne en Suisse n’ose depuis longtemps brandir au sein du monde politique, de peur de s’attirer des flots de ricanements, malgré la vérité indiscutable de l’assertion: «C’est grâce à cette invention (l’Europe) que notre continent connaît la sécurité et la paix depuis 70 ans».

Mieux encore: le docteur Macron, en bon adepte de la thérapie Coué, a tenté de persuader les Suisses qu’il n’y avait pas plus européens qu’eux: «Vous ne le savez pas, mais vous êtes déjà européens, tous les jours, par votre position géographique et le fait que votre pays est ouvert. Vous échangez avec les pays européens. L’Europe est dans les gènes de la Suisse.»

Oui, langue étrangère, si pas sabir d’alien, dans un pays où même l’arrière-ban des derniers pro-européens n’ose plus dire du bien de l’UE que dans un murmure espéré inaudible. Dans un pays aussi qui a fait d’un parti brutalement anti-européen le premier de la contrée, au point de voir dans l’Europe à peu près le mal absolu, et qui a encore progressé lors des dernières élections.

Le président français n’a pas craint non plus, malgré ce qu’il venait de dire, de saluer l’anomalie que la Suisse n’en soit pas, de cette merveilleuse Europe: «Nous respectons le fait que la Suisse n’entre pas dans l’UE, votre pays a une singularité que nous aimons tous.» Alors que, même si l’on oublie l’UDC, la quasi-totalité de la classe politique suisse ne voit plus l’UE que comme un partenaire impitoyable, compliqué, tatillon, avec qui il faut négocier, jusqu’à l’épuisement, chaque bout de gras.

Les propos d’Emmanuel Macron à Berne sur l’Europe, ont peut-être, par leur enthousiasme, mis le doigt sur le problème: qu’en Suisse par contraste, n’existe plus aucune appétence, aucun amour envers l’idée européenne. Ce qui expliquerait assez bien l’enlisement actuel des relations entre la Confédération et la Communauté. La Suisse n’aime pas l’Europe. Ce qui conduit à une question plus vertigineuse: la Suisse, hormis elle-même, aime-telle vraiment quelque chose?