Conseil fédéral, Parlement et agitateurs des campus: les décideurs d’aujourd’hui et de demain semblent peiner à défendre la démocratie contre l’autoritarisme.
Les dictatures se portent bien, merci pour elles. Elles sont même majoritaires dans le monde, si l’on y ajoute les autocraties genre Russie, et les démocraties fantoches et corrompues d’Amérique latine ou d’Afrique. Tout ce beau monde en tout cas ne risque pas d’être dérangé par la Suisse. Il semble en effet que l’indulgence, pour ne pas dire l’amour envers les pouvoirs autoritaires, soit en vogue aussi bien au Conseil fédéral qu’au Parlement ou chez les étudiants des universités.
S’agissant du Conseil fédéral, cela fait des mois, depuis l’agression russe contre l’Ukraine, que les sept sages s’arc-boutent sur une conception obtuse et fermée de la neutralité à laquelle rien ne les oblige juridiquement. Résultat, à l’heure où l’armée ukrainienne est enlisée, la Suisse continue de refuser toute exportation vers l’Ukraine de munitions et de matériel militaire dont les Ukrainiens manquent cruellement.
Ce qui équivaut, en matière de neutralité, à faciliter de facto la vie de l’agresseur russe contre l’agressé ukrainien, à prendre sourdement parti pour l’autocratie contre la démocratie. A mener de facto la politique pro-russe voulue par l’UDC.
Le Parlement, lui, a bien essayé, sous la poussée du centre, du PLR et du PS, de renverser la vapeur, de desserrer l’étau d’une neutralité conçue dans son sens le plus étroit, peine perdue, aucun consensus n’a été trouvé. Là aussi la défense de la démocratie ne semble pas suffisamment importante pour devenir un argument décisif.
Pire, la Commission de politique de sécurité du Conseil national vient d’approuver justement un assouplissement de la législation sur l’exportation du matériel militaire, texte venu du Conseil des Etats. Une mouture hélas qui ne servirait pas l’Ukraine, puisque le principe de neutralité stricte prévaudrait toujours, mais faciliterait en revanche la vente d’armes, prohibée aujourd’hui, à des pays en guerre civile ou qui violent les droits de l’homme.
Samuel Bendahan, chef du groupe socialiste aux Chambres, explique à juste titre que c’est approuver là «un projet qui ne profite qu’à l’industrie de l’armement, peut bénéficier à des dictatures comme l’Arabie saoudite et n’aidera l’Ukraine ni en matière de réexportation d’armes, ni sur les sanctions et avoirs russes, où la Suisse ferme toujours les yeux.»
Bref au nom du cynisme économique et de principes obsolètes comme la neutralité intégrale, la Suisse officielle caresse les dictatures dans le sens du poil et nuit aux intérêts des démocraties.
Le constat n’est pas plus réjouissant s’agissant de la Suisse de demain. Des groupes d’étudiants, certes sans doute minoritaires, mènent sur les campus un grand tapage pro-palestinien unilatéral, sans jamais rappeler les massacres barbares du 7 octobre contre des civils israéliens, ou alors pour les justifier. Sans tenir compte non plus de l’entier de la réalité – des otages à libérer, les civils palestiniens pris comme bouclier humain par le Hamas, des infrastructures militaires et des postes de commandement dissimulés dans des hôpitaux, des écoles, ou même, comme on a pu le voir, dans un local scout.
Ce qui revient là aussi à prendre parti sans recul ni nuance pour les menées d’un groupe non seulement terroriste mais dictatorial: le Hamas à Gaza partage en effet avec l’autorité palestinienne en Cisjordanie d’être arrivé au pouvoir par les urnes, mais pour aussitôt suspendre tout nouveau processus électoral.
On prend donc allègrement parti pour des structures autoritaires et agressives contre une démocratie agressée, à laquelle on refuse le droit de se défendre. C’est au point que la démocratie est vue comme répulsive. Un étudiant, membre de groupes qui promettent de «pourrir» la venue d’Emmanuel Macron à l’UNIL le 16 novembre prochain, vend crûment la mèche en se confiant au Temps: «Nous avons une forme de haine contre les dirigeants européens.»
Tant de mansuétude pour les dictatures, tant d’insensibilité à la démocratie véritable chez les décideurs d’aujourd’hui et de demain. Au pays des référendums et des initiatives populaires, cela peut apparaître, au mieux, comme un méchant paradoxe.