LATITUDES

«Prompt» et les autres mots de juillet

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «prompt», «migralgie» et «désamour».

Prompt

Prompt – de l’anglais «réplique» –, est un terme qui s’implante dans notre quotidien. Il désigne les consignes adressées à ChatGPT ou Midjourney sous forme d’un texte.

La clé du succès d’un prompt repose sur une compétence bien spécifique: l’art de formuler la bonne question. L’objectif? Optimiser la réponse, sachant que les mots des utilisateurs ont un sens, alors que le retour du robot comportera les termes qui répondent statistiquement le mieux aux attentes. Depuis peu, cette expertise s’acquiert lors de formations débouchant sur un nouveau métier: «ingénieur prompt». Une profession très prisée en ce moment, en attendant que tout un chacun développe ce savoir-faire grâce à des expériences ou à la lecture des «guides» en ligne ou en librairies. Parmi ceux-ci, «Vivre avec ChatGPT» d’Alexandre Gefen (éditions L’Observatoire) est une bonne entrée en matière. On y trouve non seulement «20 trucs et astuces pour mieux utiliser ChatGPT dans la vie quotidienne», mais aussi un regard indispensable porté sur la dissemblance entre intelligence humaine et artificielle (IA).

Migralgie

Certains néologismes ont la faculté d’ouvrir les yeux des politiciens et des juristes sur des réalités passées sous silence parce que gênantes. En attestent les exemples récents d’écocide et de féminicide. En ira-t-il de même avec migralgie? Ce nouveau concept, proposé par le collectif Médecins Actions Santé Migrant.e.s, décrit «le large spectre de la douleur induite par la migration et les textes légaux qui veulent l’empêcher. Le mal poursuit son œuvre destructrice chez ceux qui entrent; et pour les accueillants, c’est un mal-être ou malaise.»

Avec la parution de «Migralgie. Le chemin de l’exil, un continuum de violence» (RMS éditions), les médecins romands qui en sont les auteurs dressent un état des lieux alarmant de l’actuelle politique migratoire et de l’asile en Suisse. Elle «bafoue l’éthique médicale», avec des conséquences souvent irrémédiables sur la santé physique et psychique des migrants.

Jusqu’ici, le débat sur la problématique de la migration se limitait à des considérations politiques, économiques et idéologiques. Son élargissement au domaine médical permettra-t-il à la migralgie de gagner en visibilité? Pourra-t-il susciter une prise en charge efficace des migrants, en conformité avec les engagements internationaux, les droits humains et la déontologie?

Désamour

Pêchés en ligne, les exemples de désamour abondent: désamour des investisseurs pour la Chine, de Medvedev pour la terre battue, des milieux européens pour Charles Michel, des Chinois pour le vignoble bordelais, des citoyens pour les politiciens, des jeunes pour la voiture, des piétons pour la trottinette, des Ukrainiens pour la langue russe ou des consommateurs pour le bio.
«Cessation de l’amour, de l’intérêt pour quelqu’un ou quelque chose», le désamour compte bien des synonymes – désaffection, détachement, refroidissement d’un sentiment, relâchement d’un lien, fin d’une relation –, aujourd’hui oubliés au profit d’un vocable plus romantique, qui se répand dans les registres les plus divers.

Comment diagnostiquer le désamour au sein d’un couple? Dans le roman «La langue de l’ennemi» (Gallimard), Garance Meillon ausculte la relation d’Emma, écrivaine, et de Romain, cadre d’une grande entreprise. Son constat: dans un couple, le désamour s’installe quand la langue se dégrade. Ainsi, l’usage excessif «d’éléments de langage» par Romain le transforme en ennemi d’Emma. Excédée par la standardisation de sa langue, elle l’associe à l’appauvrissement, puis à la rupture de leur lien. Souhaiter «une belle nuit», chercher «un créneau» ou se mettre «en mode off» sont, pour Emma, autant de formules perçues comme «des couleuvres qui se glissent entre les draps d’un couple» menacé par le désamour.

En guise de devoirs de vacances, à chacun de se pencher sur ses mots-clés déstabilisateurs!