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La guerre des bouées

Le prompt sauvetage de Credit Suisse a déjà pour effet collatéral de rendre désormais compliquée toute politique d’austérité, même quand elle sera justifiée.

C’est une salade de fruits, et pas des plus jolies. Des pommes et des bananes, qu’on nous prie de ne pas confondre. La métaphore est usée mais sert toujours, spécialement dans les grandes occasions. Et celle-là en est une: la chute de l’empire Credit Suisse.

La promptitude qu’a eu le Conseil fédéral à lancer une bouée de sauvetage, et la circonférence de la dite bouée – 9 milliards de garanties pour le repreneur UBS et 100 milliards de prêts de la BNS tout aussi garantis – a laissé les uns bouche bée d’admiration et les autres comme frissonnant sous l’ombre d’un vilain doute. C’est le bon vieux clivage gauche-droite un peu flageolant qui s’est retrouvé d’un coup réactivé.

À gauche, on ricane devant «les montants colossaux» trouvés pour les banques et on accuse la droite de n’avoir pas le même sens de l’urgence ni la même prodigalité lorsqu’il s’agit de voler au secours des rentiers AVS, des assurés jusqu’ici à en parfaite santé mais soudain asphyxiés par leurs primes maladie, ou des couples en recherche désespérée d’une offre cohérente de garde extra-familiale, et de tous ceux enfin qui connaissent des situations financières précaires.

La droite rétorque, à l’image de Damien Cottier, chef du groupe parlementaire libéral-radical, que c’est là vouloir comparer –nous y voilà – «des pommes et des bananes». Que dans un cas il ne s’agit que de garanties qui ne seront peut-être même pas utilisées et que de l’autre on parle de dépenses réelles et concrètes.

La droite a beau dire, l’effet Credit Suisse n’est pas prêt de s’éteindre et n’a sans doute pas encore produit toutes ses capacités de nuisance. On en voit déjà un exemple dans les réactions à la décision du parlement, adoptée dans un contexte d’austérité autoproclamée, de baisser les rentes LPP.

Baisse contre laquelle la gauche prépare une votation populaire soudain prometteuse: même la droite admet qu’il sera difficile de vendre cette réforme après le sauvetage de Credit Suisse, alors que le Département fédéral des finances avait tous ces derniers mois, en réponse aux diverses revendications sociales, entonné toujours le même refrain funèbre: hélas, bonnes gens, les caisses sont vides.

Que les pommes et les bananes, ce ne soit pas la même chose, on pourra facilement en convenir. Comme on conviendra que voler à la rescousse d’une banque si tentaculaire que son écroulement en aurait entrainé bien d’autres et mis à mal toute l’économie du pays, n’a pas grand-chose à voir avec le fait d’aider chacune et chacun à boucler ses fins de mois.

Ce qui est sûr pourtant, c’est qu’il faudra désormais, pour refuser ou limiter les aides publiques, laisser de côté le pauvre argument des caisses vides. Simplement parce que personne, comme on le voit déjà, n’y croira plus. Même si le sauvetage de Credit Suisse est une opération ponctuelle et les coups de pouces sociaux une nécessité constante.

On pourra toujours, à bout d’arguments, ressortir d’autres vieilles métaphores toutes aussi creuses, comme celle de l’avantage qu’il y aurait à apprendre aux nécessiteux à pêcher plutôt que leur livrer des barquettes de poissons surgelés à domicile.

Cet appel à la responsabilité individuelle n’est sans doute pas une absurdité en soi, sauf quand il se transforme, comme c’est assez souvent le cas, en vulgaire prétexte pour justifier l’inaction politique et soutenir que le mal-être social compte pour… des prunes.