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Mais oui, monsieur Berset

En qualifiant de frénésie guerrière le soutien militaire à l’Ukraine, le président de la Confédération n’aurait pas voulu dire ce qu’il a dit. Ce qui est vite…dit.

Rien de plus vite dit qu’une bêtise. Cela arrive aux meilleurs d’entre nous. Quitte à ce qu’ils doivent, tout meilleur d’entre nous qu’ils sont, s’excuser ensuite piteusement. Sur l’air de “désolé le coup est parti tout seul”. Il peut arriver aussi, parfois, qu’on surestime un peu les meilleurs d’entre nous.

Ainsi donc Alain Berset, président éphémère de la Confédération helvétique, trouve qu’il y a quand même de la frénésie guerrière dans le soutien militaire apporté à l’Ukraine. Mais peut-être à ses yeux n’est-ce pas une bêtise de dire ça, même pour un président éphémère. Peut-être pense-t-il vraiment que les Ukrainiens et leurs alliés mettent quand même bien de la frénésie à se défendre contre la calme et sereine agression russe.

Guère plus habile cycliste qu’aviateur, semble-t-il, Alain Berset a donc rétropédalé comme il a pu. Reconnaissant que peut être, éventuellement, «ce n’était pas le bon choix de mots». Avant de préciser que son intention n’avait «jamais été de critiquer certaines personnes ou certains Etats, mais de montrer qu’il existe d’autres possibilités de soutenir l’Ukraine».

Car il y a toujours un «mais». Cette petite conjonction dite de coordination et supposée exprimer, selon les meilleures grammaires, «l’opposition, la concession ou la restriction», a maintes fois montré son utilité quand on voulait, sans le dire expressément, justifier l’injustifiable ou défendre l’indéfendable.

Un exemple emblématique de ce petit «mais…» un peu tordu a pu être observé dans la bouche de ceux qui susurraient après les attentats islamistes de 2015 à Paris: «Je suis Charlie, mais…» Discrètement sous-entendu: ils l’ont quand même un peu cherché, ces clowns, avec leurs petits dessins provocateurs et frénétiques.

Donc Alain Berset, magnanime, reconnait à l’Ukraine le droit de se défendre contre «l’incroyable agression de la Russie». Mais… mais, évidemment, la Russie n’aurait-elle pas été un peu provoquée par l’OTAN? Tant pis si cette provocation a consister à répondre à une demande de protection défensive formulée par certains pays limitrophes – pays baltes, Pologne – contre l’éventualité bien incroyable, dirait Berset, d’une invasion russe. On se demande bien en effet où ces pays limitrophes sont allés chercher pareille fantasmagorie.

Ce n’est sans doute évidemment pas ce que dit ni ce que pense Alain Berset. C’est ce que martèle à journées faites la propagande du Kremlin, toujours à l’affut dans ce contexte de la moindre faille dans le discours occidental. Qualifier, en tant que chef d’un Etat situé au cœur de l’Europe, de frénésie guerrière le soutien militaire à l’Ukraine ne peut être aux yeux de Moscou que du pain hautement béni. Oui, cela ne fait aucun doute: la sainte Russie poutinienne vous dit merci, monsieur Berset.

Un seul parti n’a pas regimbé face aux paroles malheureuses du président de la Confédération, et c’est naturellement la russophile UDC. À l’inverse, le co-président du parti d’Alain Berset, le conseiller national Cédric Wermuth est venu rappeler qu’on pouvait analyser les choses comme on le voulait, il n’y avait pour l’heure dans ce conflit qu’un seul obstacle à la paix et qu’il s’appelait Poutine. Et que, bref, si frénésie guerrière il y avait, elle était précisément de l’autre côté.

Tout cela pourrait rappeler un fameux sermon du siècle dernier prononcé par l’humoriste genevois Bernard Haller. «Car il y a le “mais”, mes frères, qui nous sauve, le joli “mais”: le professeur dit à l’élève: vous êtes expulsé de notre lycée, mais…Le juge dit au coupable: demain vous serez pendu haut et cours, mais…Il y a toujours un “mais”, pour chacun de nous, mes frères, à jamais.»