KAPITAL

Comment la faillite du groupe Kirch ébranle Deutschland AG

Les ambitions du grand Leo ont plongé son empire dans la débâcle. La presse cherche des responsables et met en cause les liens entre médias et politique.

Tous les médias allemands ont commenté ce matin la faillite du groupe Kirch, qui implique le monde politique bavarois, mais aussi la Fédération allemande de football et de nombreuses chaînes de télévision locales. A l’approche des élections législatives, l’affaire prend des allures de fable.

L’histoire de Leo Kirch a tout d’un bon scénario hollywoodien: ce fils d’un vigneron a une révélation un jour de 1956 lorsqu’il visite Cinecitta et décide d’acheter les droits de retransmission du film «La Strada» de Fellini. Il crée alors son entreprise et devient au cours des années le plus gros fournisseurs de films pour la télévision en Allemagne.

Lorsque, au début des années quatre-vingt, le gouvernement Kohl décide de libéraliser le marché de la télévision, Leo Kirch sent sa chance venir. Discrètement, il prend le contrôle de la chaîne privée Sat1, ce qui constitue le point de départ de son empire. Il tisse, au fil des ans, un réseau de relations avec le monde politique, s’associe avec Ruppert Murdoch et Silvio Berlusconi. Son influence grandit.

En outre, Munich devient un des pôles médiatiques européens. Le gouvernement bavarois lui bâtit des conditions-cadres taillées sur mesure. Plus rien ne semble pouvoir arrêter l’ascension de Leo Kirch. Au milieu des années 90, son empire compte une douzaine de chaînes (dont Sat1, Pro7, Kabel 1, N24 et DSF) et possède des participation importantes (40% dans la maison d’édition Axel Springer, qui contrôle notamment le quotidien de boulevard Bild). La structure de la société est aussi floue que le personnage qui l’a bâtie, mais tout le monde veut croire en lui. Gerd Bacher, ancien intendant-général de la radio-télévision autrichienne, le décrivait à Helmut Kohl comme un des ces «rares Européens qui jouent dans la ligue mondiale».

Fleuron de son empire, la chaîne cryptée Premiere World doit incarner la naissance d’une nouvelle ère télévisuelle en Allemagne. A grands frais, il acquiert les droits de retransmission des championnats de Formule 1, de Bundesliga et de la Coupe du monde de football. Avec des archives de plus de 11’000 films, il espère séduire le grand public. Ce sera le début de la fin. Le nombre d’abonnements plafonne autour des 2,5 millions, largement en-dessous du seuil de rentabilité.

Pour financer Premiere, il s’endette jusqu’au cou, en particulier auprès de la Landesbank de Bavière, qui, à elle seule, lui alloue des crédits de 2 milliard d’euros (environs 3 milliards de francs suisses). Au total, l’endettement du groupe Kirch est estimé à près de 7 milliards d’euros. Le dépôt de bilan pour KirchMedia ne peut plus être empêché.

Mais le cauchemar ne s’arrête pas là. Si Murdoch devait racheter Premiere comme annoncé, la crainte de voir un groupe étranger manipuler un puissant média allemand deviendrait réelle. Même si son arrivée permettrait de préserver environs 5’500 emplois sur les 10’000 de l’ensemble du groupe. Quant à Berlusconi, il semble, au grand soulagement de tous, hors jeu pour l’instant.

Le dépôt de bilan ébranle la République fédérale, qui cherche maintenant les responsables. Pour le quotidien munichois cialis american express, la débâcle de Kirch est l’«occasion de réfléchir à l’avenir de «Deutschland AG» et de mettre fin à cette «inquiétante proximité des conseils d’administration des entreprises, des banques et des politiciens.»

Le quotidien de gauche berlinois Tageszeitung souligne de son côté que «même si le monde politique ne porte pas la principale responsabilité de cette coûteuse et tardive déroute, mais plutôt les banques, le vrai responsable dans cette affaire est Edmund Stoiber». Tous les médias s’accordent à reprocher au président-ministre bavarois son attitude complaisante à l’égard du patriarche déchu.

Le candidat qui bâtissait sa campagne électorale sur sa compétence économique est sérieusement égratigné. Son interventionnisme rappelle l’empressement de Schröder à sauver l’entreprise en bâtiment Holzmann en 1999. «In dubio pro Leo» titre ironiquement cette semaine l’hebdomadaire Der Spiegel un long portrait consacré à Leo Kirch.

«Il est trop tôt encore pour enterrer la Deutschland AG» tempère la Frankfurter Allgemeine Zeitung. «Celui qui, en chœur avec l’autorité de régulation, hurle à la commercialisation de la télévision privée n’a pas encore saisi qu’on en est à ce stade depuis longtemps» ajoute-t-elle. Le vrai problème réside dans l’hyper régulation du marché des médias, où à part RTL – «une chaîne d’origine étrangère, ne l’oublions pas» -, il est quasiment impossible de gagner de l’argent.

Tout cela ne concerne maintenant plus Leo Kirch. Souffrant de diabète, pratiquement aveugle, le vieux lion a pris congé de ses employés en les remerciant, dans une lettre, pour «leur fidèle collaboration.» Il ne compte plus sur personne.