LATITUDES

S’évader dans l’insolite

Charmes cachés, histoires et anecdotes décalées : plongée dans une balade atypique au coeur de la Capitale Olympique.

Une porte de 5 tonnes, des fossiles millénaires, une pince mystérieuse… Lausanne regorge de lieux insolites et ne finit pas d’étonner, que l’on soit local ou visiteur. Si ses bâtiments emblématiques sont bien connus, le charme de la ville se trouve aussi dans ses détails et ses lieux atypiques. En levant les yeux ou en adoptant un autre regard, le connu devient nouveau. «On peut trouver de l’insolite même dans une rue qu’on fréquente. Les nombreuses pentes de la ville offrent des perspectives et des points de vue surprenants sur certains lieux», rappelle le Lausannois Pierre Corajoud, auteur de nombreux guides de balades. C’est l’idée de cette promenade parsemée d’étapes singulières : prendre le temps de regarder la ville autrement.

  1. HORLOGE PARLANTE

Nous commençons notre balade à la place de la Palud pour assister au spectacle de l’horloge qui, aux heures pleines de 9h à 19h, s’anime et narre les grandes heures de l’histoire vaudoise (voir notre infographie dans le Lausanner 08). Faisant face à la fontaine de la Justice (voir pages 16-17), l’œuvre de l’artiste Pascal Besson, disparu en octobre 2022, a été inaugurée en avril 1964 et rappelle notamment la tentative du major Davel de libérer le canton du pouvoir bernois le 31 mars 1723.

  1. RUISSEAU CACHÉ

Nous remontons sur la place de la Riponne. Sur notre gauche : le grand parking Inovil. Au troisième niveau de celui-ci, une fenêtre permet de découvrir l’unique passage encore visible en ville du ruisseau de la Louve. Il a été recouvert au XIXe siècle pour des questions de salubrité, tout comme le Flon qui coule aussi sous Lausanne.

  1. PINCE MYSTÉRIEUSE

Sur la place de la Riponne, essayons de trouver la pince incrustée dans l’un des 142 430 pavés de béton posés en 1973. Abandonné, l’outil, désormais fossilisé, intrigue depuis un demi-siècle. À qui appartenait-il ? Pourquoi a-t-il été laissé là ? Par choix ou par mégarde ? L’anecdote perturbe et ravit. Un collectif d’auteurs lui a même consacré un ouvrage, La Pince du pavé, paru en 2016 aux Éditions limitées.

  1. PORTE BLINDÉE

En face, au Palais de Rumine, une autre curiosité lausannoise se trouve à l’extrémité de la terrasse nord : une porte blindée de 5 tonnes. Selon le guide Le Palais de Rumine de Bruno Corthésy, ce vestige du passé a servi à contenir l’eau chaude jaillissant lors du percement du Simplon. Que fait-elle à Lausanne ? Elle fut offerte à l’État de Vaud par l’entreprise de percement à la fin du chantier colossal, en 1906, année de l’inauguration du Palais de Rumine.

Son emplacement actuel a été pensé par l’architecte du bâtiment Gaspard André. « L’inauguration du tunnel du Simplon était un immense événement. C’est aussi à cette occasion que l’on a baptisé la place de Milan, car le tunnel permettait de relier en train Lausanne à la ville italienne », explique Nathalie Nini Rey, guide lausannoise.

  1. FOSSILES MILLÉNAIRES

Prenons ensuite les escaliers qui longent le bar The Great Escape. Après le passage piéton, nous empruntons les Escaliers du Marché dont la trajectoire en serpent et la pente de pavés datent des années 1717-1719. Arrivés à la Cité, nous découvrons au bas du bâtiment de Cité-Devant, juste après la fontaine de 1797, des coquillages fossilisés depuis des millions d’années dans du grès coquillier, extrait dans le nord du canton de Vaud.

  1. PARC À L’ANGLAISE

En traversant le pont Bessières, on rejoint rapidement Mon- Repos. Véritable théâtre de verdure, ce parc à l’anglaise voit le jour au XVIIIe siècle, alors que le terrain est couvert de vignes. Avec ses parcelles de fleurs au style aristocratique, ses étangs, fontaines et oiseaux exotiques, il est l’un des plus connus de la ville. Plus haut, à gauche de l’imposant Tribunal fédéral, les oeuvres du sculpteur Yves Dana, posées devant l’ancienne Orangerie qui lui sert d’atelier, vous accueilleront. Un lieu à part, datant de 1822.

  1. RUINES ET CASCADE

Dans le hameau de la forêt, tendons l’oreille pour entendre la chute d’eau. Sur la gauche, une entrée cachée par la végétation mène à un lieu magique et chargé d’histoire : les ruines de la Tour-Belvédère de Mon-Repos et sa cascade. En poursuivant notre exploration, nous arrivons à la coupole de Mon-Repos (derrière le temple de Béthusy), où nous profitons d’une vue imprenable sur le sud de la ville.

  1. PAVÉS DORÉS

En quittant le parc, on rejoint la place Saint-François par la rue de Bourg. Au nord de l’église réformée, on admire au sol une constellation de pavés dorés sur lesquels sont inscrits les prénoms des 52 enfants nés à Lausanne un soir de pleine lune en 1998. Ces carrés de laiton semblent jaillir de la fontaine en demi-lune qui complète cette oeuvre signée des artistes Anne- Hélène Darbellay et Yves Zbinden. Inaugurée en 1999, elle symbolise l’eau comme source de vie.

  1. CHAPELLE DE GUILLAUME TELL

Poursuivons ensuite sur l’avenue Jules-Gonin pour rejoindre l’esplanade de Montbenon. En traversant le parc, on aperçoit la chapelle de Guillaume Tell devant le Casino (qui, contrairement à son nom, n’a jamais abrité de salle de jeux depuis son inauguration en 1908. Actuellement, on y trouve la Brasserie de Montbenon et deux salles de spectacle). La bâtisse votive a été érigée entre 1913 et 1915. Trois fresques d’Ernest Biéler, restaurées en 1955, relatent les épisodes les plus connus de l’histoire du héros national suisse.

  1. COULÉE VERTE

Nous descendons Sous-Gare pour emprunter la coulée verte, un chemin arboré en pente douce inauguré en 2008, qui nous mènera du boulevard de Grancy à Ouchy. Le trajet peut également se faire en métro : ces 10 000 m2 d’espaces verts recouvrent le métro m2. Cette voie verte est aussi appelée promenade de la Ficelle, du nom du petit train à crémaillère, ancêtre du métro, qui reliait Ouchy au Flon de juin 1877 à janvier 2006.

  1. FONTAINE AUX ÂNES

À Ouchy, sur le quai Jean-Pascal- Delamuraz, une fontaine met en vedette trois ânes en train de s’abreuver, surmontés de l’inscription « En souvenir de l’Académie d’Ouchy ». Offerte à la Ville par l’artiste Édouard- Marcel Sandoz en 1937, elle rend hommage aux équidés qui ont, jusqu’à l’avènement de la Ficelle en 1877, transporté depuis les rives du lac, sur la pente encore rocailleuse de la future avenue d’Ouchy, les pierres et matériaux qui ont servi à bâtir la ville. Sur leur passage, les habitants avaient, à en croire la légende, pour habitude de ricaner : «Voici l’Académie d’Ouchy !»

  1. PAVILLON THAÏLANDAIS

Nous longeons ensuite les quais d’Ouchy vers l’est pour rejoindre le parc du Denantou. Dans ce parc se trouve le Pavillon thaï, offert à la Ville en 2005 par le défunt roi Bhumibol Adulyadej, qui avait vécu en Suisse jusqu’en 1951. À l’époque, l’édifice avait été inauguré en présence de sa fille, Son Altesse Royale Maha Chakri Sirindhorn. Le 14 septembre 2022, la princesse était de retour au Denantou pour la cérémonie d’inauguration d’un buste à l’effigie de son père. Et sur l’étendue d’herbe, un arbre centenaire. L’un des préférés de Pierre Corajoud : «Il a un tronc exceptionnel, typique des charmes, très noueux, charpenté et robuste. Je l’apprécie beaucoup, car il vient de nos campagnes.»

  1. VRAIE FAUSSE RUINE

On parcourt quelques mètres pour rejoindre, à Ouchy, l’embouchure de la Vuachère et s’intéresser à la « vraie fausse ruine » de la tour Haldimand. Elle a été construite en 1821 dans le style néogothique, très à la mode à l’époque romantique. Cette imitation d’une tour gothique est faite de murs de blocs de molasse sur un socle en tuf. Au terme de cette balade insolite, les mots de l’auteur Pierre Corajoud résonnent encore : «Plus on connaît certaines villes, plus on peut avoir envie de les connaître.»

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 10).