LATITUDES

Le piercing trash ne doit pas décharmer la langue

Alors que de nouveaux mots entraient dans le dictionnaire, d’autres risquaient de disparaître en silence. Une opération éditoriale a été organisée pour les sauver d’une mort certaine.

Stéganographie est le nom d’une technique qui aurait permis aux terroristes d’Al Qaida de communiquer. Un mot trop jeune encore pour le dictionnaire. Les nouvelles éditions du Larousse et du Robert ne le mentionnent pas.

Elles accueillent en revanche quantités d’anglicismes et de termes liés aux nouvelles technologies, comme capital-risqueur, best-of, start-up, trekkeur, piercing, DHEA, e-book, feng shui, judiciariser, MP3, rolleur, scotché, tilter, UMTS, wap, homoparental, nuiteux, sandwicherie, extranet, coaching, groove, hacker, hot-line, papy-boom, teasing, trash, webmestre, double-cliquer, EPO et ultralibéral, entre autre. Relevons au passage que, d’origine romande, on a retenu le terme «bonne-main» pour pourboire.

Que nous réservent les prochaines éditions? Elles mentionneront sans doute la stéganographie, ce procédé de codage de données qui met à profit l’immensité d’internet et les caractéristiques des images numériques pour cacher un message. «Attentat suicide» viendra-t-il tenir compagnie à kamikaze, entré, lui, en 1950? Et que découvrira-t-on sous «liberté immuable», sous «World Trade Center» ou sous «anthrax»?

Chaque jour, des mots surgissent dans l’actualité tandis que d’autres disparaissent en silence. Pauvres mots perdus, morts sans sépulture! Des années durant, j’ai pleuré sur leur sort. La longue liste des nouveaux arrivés ne parvenant pas à me consoler de leur perte. Et puis, il y a peu, je suis tombée par hasard sur ce petit bijou qu’est «L’obsolète, le dictionnaire des mots perdus», publié aux éditions Larousse.

Cet ouvrage d’Alain Duchesne et Thierry Leguay est né du regret de voir des mots de bonne compagnie nous quitter. De «s’abeausir» (se mettre au beau) à «zest» (une interjection dont on se sert pour repousser ce que dit une personne), les amoureux des mots peuvent s’y adonner à une flânerie tantôt cocasse tantôt émouvante.

La démarche n’est en rien puriste ou passéiste. Les auteurs expliquent la subjectivité de leur choix: «Loin de nous l’idée que nous aurions définitivement perdu une langue plus belle et plus juste. Des mots inactuels nous attiraient, et nous voulions les retrouver. C’est leur charge, affective et sensuelle, qui a guidé notre choix; nous n’avons retenu que ceux qui nous faisaient de l’effet.»

Baisailler, naqueter, se mignoter, trigauder, malencontre, remembrance, vertigo, clampin, brimborion, fruition, godelureau… Autant de mots savoureux et pourtant absents aujourd’hui du langage courant. Un constat s’impose: nous avons de moins en moins de mots pour inscrire nos émotions et nos sentiments.

«Notre langue possédait autrefois décharmer, désamour, désentêter, désheurer, désennuyer… Le préfixe «dé» est nécessaire, car il montre que dans nos vies tout est sujet à se défaire et que nous balançons sans cesse au bord du vide.»

Même pour pester, notre vocabulaire s’est appauvri. «Nous assistons à une «pastellisation» des discours: affadissement progressif, édulcoration retorse; c’est le règne de l’asepsie; tout est en demi-teintes: pas de couleurs vives dans les mots, pas de pulsion dans la phrase… Un langage propre, sans étrangetés, nous envahit tristement.» Prr, tarare pon-pon, diantre soit du politiquement correct!

«L’Obsolète, le dictionnaire des mots perdus» est une invite à la réhabilitation de la nuance et de la subtilité. Le rappel que pour bien vivre, nous avons besoin de mots affûtés et qu’il importe moins de suivre avec scrupule les règles d’une langue que de l’aimer.