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Le «nous» planétaire de Washington

Quand George Bush dit «nous», ces jours-ci, qui englobe-t-il vraiment? Quel vertige exprime-t-il?

Les avions détournés le 11 septembre dernier à New York et Washington ont percuté des structures physiques autant qu’immatérielles – y compris celles du langage. Les notions de «croisade», de «guerre» et d’«islamisme» s’en sont trouvées infléchies. Il n’est jusqu’au terme «nous», pourtant simple pronom personnel de la première personne du pluriel, qui n’ait fait l’objet d’une diversion subtile.

«Nous», prononcé ces jours derniers par le président des Etats-Unis, a désigné des périmètres sociaux et politiques en état de concentricité croissante. Pronominalisant d’abord le gouvernement américain lui-même, il a progressivement englobé les citoyens du pays, puis les amis transatlantiques traditionnels de Washington, et finalement les réprouvés d’hier intégrés de force parmi les associés d’aujourd’hui face au terrorisme, comme l’Iran voire le Pakistan.

Cet impérialisme sémantique résulte évidemment du fantasme d’exterritorialité qui travaille les Etats-Unis depuis leur origine. Ce pays est par excellence le laboratoire de la perte intime. Il fut créé par des immigrés arrachés de leurs racines, donc de leur Histoire, dont les descendants sont restés affamés d’une identité qu’ils se sentent sommés de regagner constamment sur l’espace extérieur et le vide.

Ainsi les Américains, après deux siècles d’existence collective en tant que nation, durant lesquels ils n’ont cessé de projeter compulsivement leur silhouette dans la figure manichéenne du Bien luttant contre le Mal, mais durant lesquels ils n’ont jamais atteint leur objectif de s’y sentir accordés, sont-ils devenus profondément incapables de gérer leur besoin d’être reconnus.

Leur désir de se faire homologuer sur toute la planète, en recourant à tous les moyens possibles de régence économique et militaire, est nourri par cette circonstance. Le drame est que cette quête panique est suffisamment masquée sous les aspects du dynamisme vital, confondu lui-même avec le progrès civilisateur, pour en devenir prodigieusement contaminante.

C’est pourquoi le «nous» de Washington implique aussi facilement les opinions publiques, jusque sur les rives de la Tamise, de la Seine, de la Venoge ou de l’Arve. Une méditation psychologique s’impose donc certainement à l’échelle internationale. Le fondement secret de cette terrible américanisation planétaire n’est peut-être en effet qu’une sensation partagée de manque originel, et qu’une pareille impuissance à conjurer ce manque par les moyens de l’intelligence au lieu de la domination.