KAPITAL

Mon conseiller bancaire est un robot

Gérer des milliers de comptes simultanément ou élaborer des stratégies d’investissement: les algorithmes s’imposent progressivement dans le secteur financier.

L’usage de technologies basées sur l’intelligence artificielle (IA) bouleverse de nombreux secteurs économiques comme l’industrie, l’agriculture, les transports ou la santé. Le secteur financier avec ses immenses quantités de données chiffrées semble prédestiné à connaître le même sort. Des algorithmes intelligents sont ainsi capables de regrouper et d’analyser des informations, d’en déduire des stratégies ou d’élaborer des prévisions. Les avantages pour les établissements financiers sont doubles: proposer une offre personnalisée pour chaque client et réduire les coûts. Il n’est donc pas étonnant que 90% des sociétés du secteur testent actuellement des applications possibles en lien avec l’IA, selon un rapport publié par le cabinet d’audit Deloitte.

La banque en ligne Swissquote figure parmi les précurseurs de l’IA dans le secteur financier. En 2010, elle a mis en place un «Robo-Advisor» dans sa formule ePrivate Banking. Son but: proposer des stratégies d’investissement individualisées à sa clientèle, comme l’explique Serge Kassibrakis, Head of Quantitative Asset Management. «Alors que nos concurrents proposent une vingtaine de portefeuilles type qui varient surtout en fonction du risque, nous laissons à nos clients le choix, en partie guidé par l’IA, de régler les paramètres eux-mêmes.» Pour l’instant, les clients se méfient encore des algorithmes. Seuls 1’500 portefeuilles gérés en partie par cette technologie sont pour l’instant actifs, ce qui correspond à un montant sous gestion de 200 millions de francs. En comparaison, le montant géré par certains asset managers peut atteindre des milliards. Mais le nombre croît avec un pourcentage à deux chiffres tous les ans, assure Serge Kassibrakis.

Ailleurs, les projets se multiplient. La banque UBS vient d’ouvrir un centre de compétence dans le domaine de l’IA à Manno (TI) avec la création, à terme, de 80 emplois. La responsable de l’innovation de l’établissement bancaire, Veronica Lange, a récemment déclaré que la première banque du pays recherchait activement des spécialistes en traitement de données. Autre exemple: depuis 2013, la banque privée genevoise Pictet utilise des algorithmes intelligents dans le but de comparer des résultats récents à des chiffres passés. Cette comparaison permettrait d’anticiper la création d’une bulle dans un domaine, si l’algorithme détecte des paramètres similaires.

Des milliers de portefeuilles en parallèle

L’IA est aussi utilisée pour mieux connaître la personnalité du client. Ainsi, la start-up lausannoise nViso, fondée en 2005, développe un outil qui permet de mesurer les émotions du client, en partenariat avec un groupe financier américain. «Le client regarde une vidéo de quelques minutes avec différents scénarios liés à l’argent, détaille le CEO Tim Llewellynn. Notre algorithme sera ensuite capable de fournir son profil grâce à une centaine de paramètres. Le conseiller bancaire saura, par exemple, si le client est davantage concentré sur l’avenir, impliquant alors une stratégie d’investissement plus risquée, ou s’il s’agit d’une personne prudente, qui ne veut pas avoir de regrets.»

Comment savoir si ces applications de l’IA génèrent un retour sur investissement intéressant pour le client? Pour Serge Kassibrakis, il est difficile de comparer la performance de deux stratégies différentes: «Quelle mesure utiliser? Et sur quelle période? En général, il n’est pas possible qu’un type de gestion batte systématiquement un autre.» Le spécialiste souligne cependant l’efficacité de l’usage de l’IA: «Les algorithmes permettent une gestion plus fine du risque et la gestion de milliers de portefeuilles en parallèle, contrairement à un homme dont le nombre de portefeuilles qu’il est capable de gérer en parallèle est de quelques dizaines.»

Cette efficacité présente-elle une menace sur les emplois dans le secteur financier? La réduction des coûts est un argument important en faveur de l’usage des technologies basées sur l’IA. Ainsi, Sergio Ermottidirecteur général d’UBS, déclarait récemment dans une interview accordée à l’agence de presse Bloomberg, vouloir réduire, d’ici à 10 ans, de 30% le nombre de postes par rapport à aujourd’hui. Arturo Bris, professeur en finances à l’IMD Business School Lausanne, s’accorde sur ces propos, mais estime que les professionnels du secteur devront aussi s’adapter: «L’IA va changer la nature des emplois. Un trader devra savoir gérer des logiciels. D’autant plus que cette technologie sera de plus en plus appliquée dans l’ensemble des domaines du monde financier, comme le service client ou la lutte contre les fraudes.» Ce bouleversement va engendrer une nouvelle répartition des tâches. «L’IA optimisera certains processus, permettant alors aux salariés de se concentrer sur des tâches plus complexes.»

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Watson à la banque

L’intelligence artificielle d’IBM devient un outil financier.

En février 2011, Watson, l’intelligence artificielle développée par le géant du numérique IBM, s’imposait face à des concurrents humains lors du jeu télévisé de questions/réponses «Jeopardy!». Quelques années plus tard, elle s’illustre dans les domaines de la cybersécurité, la santé et la finance. Comme Watson est capable de comprendre le langage humain, les établissements financiers peuvent l’utiliser pour répondre à des demandes simples et récurrentes. Sa capacité à traiter de très grandes quantités de données font de cette intelligence artificielle un outil de choix pour contrôler les risques, puisqu’elle peut établir un profil exact du client, et pour gérer les problèmes liés au domaine de compliance (la conformité avec les régulations sur différents marchés). Une aubaine étant donné que les banques consacrent 10 à 15% de leurs dépenses régulières à ses deux postes.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Entreprise Romande (été 2018).