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Mario les bons tuyaux

En poste depuis 2011, le secrétaire d’Etat aux migrations Mario Gattiker sait cajoler la chèvre comme le chou. Un exploit dans un domaine où il n’y a que des mécontents.

C’est un job qu’on ne souhaiterait pas à son plus féroce ennemi: secrétaire d’État aux migrations. En gros, que des coups à prendre. Sans que jamais personne ne se montre content ni reconnaissant. «Droit-de -l’hommiste vendu à la libre-circulation mondialisée et au catéchisme gnangnan de la gauche bobo» pour les uns. «Fasciste indécrottable sans cœur ni conscience» pour les autres. Voilà les sympathiques réputations que promet la fonction à son titulaire.

En poste depuis 2011, et sous la dénomination actuelle depuis 2014, le Bernois Mario Gattiker semble pourtant s’y plaire: en 2015 il dédaigne l’opportunité de devenir le négociateur en chef des relations avec l’Union européenne.

Un boulot pas facile non plus mais qui vous épargne les petites mésaventures pouvant arriver à un secrétaire d’État aux migrations. En 2013 par exemple, Mario Gattiker prend la parole lors d’un symposium sur l’asile à l’Université de Berne, dans une ambiance d’autant plus étouffante que des activistes ont déposé un tas de fumier à côté de son pupitre.

Tels sont les inconvénients de la profession. Avec en plus une marge de manœuvre qui tient du timbre-poste. Vous réussissez de temps en temps à renvoyer chez eux quelques requérants déboutés, à condition que leurs pays d’origine veuillent bien les accepter et qu’eux-mêmes acceptent gentiment de monter dans l’avion. Vous vous retrouvez alors avec le film de Fernand, Melgar «Vol spécial», qui fait un carton, que tout le monde a vu, qui reçoit en Suisse comme à l’étranger une palanquée de prix. Et qui montre que tout cela n’est pas joli-joli.

Aussi, quand un requérant renvoyé par vos soins est arrêté dans son pays et torturé, que pouvez-vous dire sinon un banal «inadmissible».

Dans le même temps vous devez vous coltiner les snipers de l’UDC, qui tirent en sens contraire. Mais là vous êtes mieux protégé, puisque qu’ils préfèrent viser plutôt directement votre supérieur hiérarchique, la conseillère fédérale Sommaruga. Tel Roger Köppel, le patron de la Weltwoche, lui reprochant de «réquisitionner les maisons et appartements des gens pour y mettre de jeunes requérants d’asile de Gambie, de Somalie ou d’Érythrée, que vous êtes allée chercher vous-même».

Bon, Mario Gattiker en a vu d’autres. La migration, il est un peu tombé dedans. Après une licence en droit, il est passé par Caritas, le secrétariat de la Commission fédérale des étrangers, la section intégration de l’Office fédéral des étrangers (OFE), la division Intégration et nationalité du même OFE. Avant de devenir directeur suppléant puis directeur de l’Office fédéral des migrations, et enfin Secrétaire d’État du nouveau Secrétariat d’État aux migrations (SEM).

A force, il a développé l’art délicat de slalomer entre les reproches, de ménager la chèvre noire du nationalisme obtus et le chou rouge de la solidarité béate. Avec un phrasé rodé, limite soporifique, censé apaiser voire endormir tout le monde. Ainsi interrogé récemment sur la possibilité désormais de renvoyer chez eux les Érythréens, Gattiker résume: «Le SEM a constaté que le pays ne connaissait pas une situation de violence généralisée et qu’y retourner n’était pas dans tous les cas inexigible.» Le dire plus mollement semble impossible.

Et puis Mario Gattiker a toujours en réserve un bon principe gravé dans le marbre d’un humanisme bien de chez nous, c’est-à-dire dire sagement minimal, et qui peut servir en toute occasion: «La Suisse offre une protection uniquement à ceux qui en ont besoin.»

Vive donc l’expulsion «pas dans tous les cas inexigible».