KAPITAL

Des cheveux gris qui valent de l’or

Longtemps perçus comme un danger pour l’économie, le vieillissement de la population et l’arrivée à la retraite des premiers baby-boomers représentent aussi des opportunités d’investissements.

En 2050, 2 milliards d’êtres humains seront âgés de 60 ans ou plus, soit un sur cinq. Les seniors deviendront pour la première fois plus nombreux que les moins de 15 ans, selon une projection de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Le nombre de centenaires devrait tripler sur la même période et un enfant sur deux mis au monde aujourd’hui dans les pays développés pourrait vivre plus d’un siècle. Cette transformation démographique alarme les gouvernements pour son impact sur les systèmes de santé, les fonds de pension et le taux d’actifs.

Pour les investisseurs, elle engendre des opportunités dans des secteurs que les seniors soutiennent de manière inévitable, comme la santé, ou par choix, en tant qu’acheteurs. Les études montrent que la génération des 55 ans et plus, qui a embrassé comme jamais le consumérisme, ne modifie pas ses habitudes en prenant de l’âge. Elle reste pourtant parfois oubliée par les acteurs économiques.

«Je suis surprise que les entreprises ne profitent pas plus du changement démographique», s’étonne Meret Gaugler, du fonds Golden Age de la banque Lombard Odier, spécialisé dans les opportunités liées au vieillissement de la population. La cogérante constate que de nombreux secteurs ont mis du temps à s’adapter et à mettre à jour leurs offres. Les a priori sur les personnes âgées s’appliquent difficilement aux baby-boomers. «La retraite n’est plus synonyme de mauvaise santé, remarque Clément Maclou, gérant du fond thématique «Silver Generation» de la société genevoise Decalia. Les retraités consomment et dépensent beaucoup dans les loisirs et les soins.»

Selon une étude de la banque américaine Merrill Lynch, 60% de la consommation aux Etats-Unis est portée par les baby-boomers. Le cabinet Nielsen souligne que les plus de 55 ans représentent déjà près de la moitié de la population des Etats-Unis et surtout qu’ils détiennent 70% des revenus disponibles. En Europe, selon Eurostat, les dépenses de consommation des seniors ont augmenté en moyenne de 50% plus rapidement que celles des moins de 30 ans durant les deux dernières décennies. Au niveau mondial, le pouvoir d’achat des 60 ans et plus devrait atteindre 15 billions de dollars d’ici à la fin de la décade, contre 8 billions en 2010, a calculé le cabinet d’étude de marché Euromonitor.

En Suisse, la situation ne diffère pas. Selon des statistiques du canton de Genève, les retraités détiennent pratiquement 50% des richesses alors qu’ils ne représentent que 24% des ménages. La fortune nette médiane des 65 ans et plus est huit fois supérieure à celle des non-retraités.

La santé en première ligne

La santé reste incontournable pour les investisseurs pariant sur le changement démographique. La demande pour les soins de maladies chroniques spécifiques au vieillissement se renforce, et donc l’intérêt pour l’industrie pharmaceutique. «La population âgée consomme les deux tiers des médicaments vendus dans le monde», relève Clément Maclou.

Preuve de l’importance de la branche, chez Lombard Odier la santé occupe 50% du fonds spécialisé Golden Age. «Nous avons de grandes convictions sur Roche, lance Meret Gaugler. C’est le leader mondial en oncologie et le facteur de risque principal des cancers reste malheureusement l’âge.» Autre géant suisse, Novartis est bien placé sur le marché des traitements cardiovasculaires, première cause de décès dans le monde, et s’intéresse de près aux thérapies contre la maladie d’Alzheimer.

Les sociétés disposant d’une expertise dans une maladie liée à l’âge deviennent particulièrement intéressantes, comme Novo Nordisk et son positionnement sur le diabète. Le nombre de diagnostiqués est passé de 30 millions en 1985 à 194 millions en 2010, selon l’OMS. Le taux de prévalence de la maladie se situe entre 70 et 80% chez les 45-80 ans.

 

La dépendance, secteur incontournable

Les opportunités d’investissement ne se limitent pas aux seuls groupes pharmaceutiques. Toute une galaxie de services et produits se retrouve favorisée par le vieillissement de la population. «Pour le segment des aînés, plus vulnérables, le secteur de la dépendance est incontournable, c’est pourquoi nous l’avons intégré à notre approche», explique Clément Maclou. «Les maisons de retraite constituent un secteur phare, 100% dédié à cette population», souligne le gérant de fonds, qui mise sur les groupes français spécialisés Orpea et Korian.

Les analystes de Credit Suisse, dans une étude sur le marché helvétique, ont confirmé que le vieillissement démographique générait «une demande pratiquement garantie en services de soin». Au cours des dernières années, «les homes médicalisés et les soins à domicile ont enregistré une croissance plus dynamique que le système hospitalier, pourtant également en forte expansion», note la banque, qui prévoit que la tendance dans l’immobilier de soins se poursuivra «à moyen et long terme compte tenu de l’évolution pronostiquée de la demande».

Incontournable, le secteur des dispositifs médicaux profite de la même dynamique. Des titres comme le suisse Sonova, producteur de prothèses auditives, ou encore le spécialiste français des verres correcteurs Essilor – cité comme favori par Aneta Wynimko, gestionnaire du fonds Fidelity Global Demographics – devraient voir leur clientèle et leurs bénéfices croître.

 

Dépenser pour se maintenir jeune

De nombreux baby-boomers atteignent la retraite en bonne santé et disposent de capacités financières qui leur permettent de consommer. Ils dépensent en particulier dans les soins personnels. Certaines égéries choisies par les plus grandes marques de cosmétiques – l’actrice Helen Mirren, 72 ans, représentant par exemple L’Oréal – montrent que les entreprises du secteur ont commencé à prendre conscience de l’importance de cette clientèle.

La firme nipponne Pola Orbis vend comme des petits pains ses coûteux produits anti-âge. «Le Japon, même s’il n’est pas forcément toujours un bon investissement, nous sert de think tank», indique Meret Gaugler, qui ajoute que le Japon a quinze ans d’avance sur l’Europe et les Etats-Unis.

Spécialiste du marché nippon, Yasunobu Higuchi, de la banque Piguet Galland & Cie, désigne une autre piste, un peu moins glamour, pour les plus âgés: «Le marché des couches pour adultes est intéressant et profite à des compagnies comme la suédoise Svenska Cellulosa AB.» Au Japon, les couches pour adultes se vendent plus que celles pour bébés depuis 2012.

 

Croisières, véhicules: les retraites se font plaisir

«L’âge moyen des clients des croisières correspond à l’âge de la retraite, éclaire Meret Gaugler, qui justifie l’investissement dans les actions de compagnies du secteur. Nous misons sur des titres comme ceux de la firme américaine Norwegian Cruise Line. La reprise économique américaine engendre une augmentation de la demande, tandis que l’offre reste stable.»

Le tourisme occupe également sa place dans d’autres fonds spécialisés sur les séniors, avec des titres comme ceux de l’opérateur américain de croisières Carnival, la chaîne hôtelière espagnole Sol Melia ou la multinationale allemande du voyage TUI.

Les jeunes ou futurs retraités dépensent aussi beaucoup dans les véhicules. Chaque année et de manière régulière, les acheteurs de voitures neuves deviennent plus âgés. «L’âge moyen d’un acheteur d’une Mercedes Classe S aux Etats-Unis est de 62 ans», souligne-t-on chez Lombard Odier.

«Il faut regarder du côté des innovations permettant de faciliter la conduite des plus âgés», conseille Clément Maclou, qui note que BMW et Audi travaillent sur des systèmes d’automatisation. Les projets de véhicules autonomes comme la Google Car ouvrent de nouvelles pistes pour permettre aux seniors de rester plus longtemps et avec une sécurité accrue sur la route.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Swissquote (no 35).