LATITUDES

Le rotin, une plante pleine de charme

En vogue depuis les années 1960, le rotin inspire toujours les designers. Portrait d’une fibre naturelle qui traverse les époques.

Rappelez-vous: en 1974, l’héroïne du film érotique français «Emmanuelle» pose lascivement sur un fauteuil. Le duo devient alors emblématique et apparaîtra par la suite sur chaque affiche de la série culte. Femme et objet ne font désormais plus qu’un, puisque le siège à large dossier, autrefois baptisé «Pomare», en l’honneur d’un roi tahitien, est aujourd’hui désigné par le nom de sa sensuelle partenaire. Le fauteuil Emmanuelle a depuis été redessiné par de multiples designers, mais son matériau n’a, quant à lui, jamais changé: du rotin tressé, décliné en diverses teintes. Cette fibre végétale, caractéristique du mobilier des années 1960, revient en force. Enseignes grand public — Ikea, notamment — et marques très haut de gamme présentent dans leur nouvelle collection tous types d’objets réalisés à base de la plante. Et cela tombe à point: comme dans d’autres secteurs, tels que l’alimentation ou les tissus, les consommateurs raffolent toujours plus de matériaux et produits naturels et authentiques.

Son authenticité, le rotin la doit à ses origines: il provient d’une plante de la famille des palmiers, poussant principalement au cœur de la forêt vierge indonésienne. Artisan dans la vannerie depuis plus de quarante ans, le Vaudois Michel Québatte en est un véritable passionné; il connaît son histoire par cœur: «Les premières traces de l’utilisation du rotin remontent à l’époque celtique. Il servait alors à réaliser des cordages pour les paquets transportés par bateau, car il résistait bien à l’air marin.» Cette tige gagne ses lettres de noblesse à l’époque de Louis XIV, où elle est associée au cannage, une technique de tissage qui produit des motifs en forme de losanges — fréquemment utilisée pour créer l’assise de chaises.

Dans son atelier, à Montagny-près-Yverdon, Michel Québatte reçoit des clients aux attentes variées: «Certains ont dessiné des objets qu’ils souhaitent me faire réaliser en rotin. D’autres veulent que je reproduise des objets anciens qui leur plaisent. Des clients me demandent aussi de retaper des meubles dont ils ont hérité.»

Ce travail artisanal contribue au succès du matériau, selon la designer genevoise Anouk-Eva Meyer: «Comprendre le tressage est à la portée de tous, ce qui rend l’objet familier et accessible à chacun. Je trouve absolument captivant que tout le monde puisse imaginer comment une matière fonctionne et évolue pour se transformer en objet.»

Un voyage dans le passé

La jeune femme a fait appel à Michel Québatte pour la réalisation de l’une de ses dernières œuvres: un diffuseur de parfum en rotin. Un objet pour lequel la fibre végétale présente un grand avantage: «Le rotin agit comme une paille, explique la designer. L’absorption du parfum commence à l’extrémité de la tige, puis remonte. Les fibres s’imbibent comme une éponge et l’odeur se propage dans la structure.» Mais à ses yeux, le rotin a bien d’autres qualités. À commencer par sa capacité à faire voyager dans le passé. «Nous avons tous un souvenir lié à cette matière, peu importe notre culture et niveau de vie, car les méthodes de tressage sont ancestrales et universelles.»

Des aspects beaucoup plus pragmatiques pourraient également expliquer le retour en verve de cette tige indonésienne. Selon Sylvie Ulmann, journaliste et blogueuse lausannoise, spécialisée dans le design et la décoration, le rotin a surtout l’avantage d’être relativement neutre et passe-partout: «Il trouve sa place aussi bien dans un intérieur ancien que dans une ambiance très moderne. Il s’accorde par ailleurs avec toutes les couleurs.» Les meubles fabriqués à partir de ce matériau sont également destinés à durer et leur solidité leur permet de pouvoir être installés à l’intérieur comme à l’extérieur: «Les gens ont le sentiment d’en avoir pour leur argent», assure la blogueuse.

Associer le chaud et le froid

Paradoxalement, des objets confectionnés à base de plastique imitant le rotin sont aussi de plus en plus nombreux dans les boutiques. Une absurdité, aux yeux de Michel Québatte: «Une matière vivante, qui respire, est infiniment plus confortable. Vous n’allez jamais transpirer sur un siège en rotin, alors que sur du plastique, c’est une autre histoire.» Mais le principal inconvénient de la fibre naturelle est évidemment son prix plutôt élevé, surtout lorsqu’elle est tissée par une main-d’œuvre locale. Un argument qui n’est en rien une excuse, à entendre Sylvie Ulmann: «Si l’on n’a pas les moyens de s’offrir du rotin, mieux vaut opter pour une chaise en métal que pour une imitation en plastique!»

Reste à savoir quelles sont les meilleures combinaisons à adopter pour mettre en valeur le rotin. Anouk-Eva Meyer a fait son choix. «Ce médium amène de la douceur, quelque chose de poétique. Aussi tactile que visuel, il inspire confiance. J’aime l’associer à des matières sophistiquées, comme l’acier ou le laiton. Il en ressort un équilibre chaud-froid qui me plaît beaucoup.» Sylvie Ulmann conseille de «privilégier les formes épurées». Aux yeux de la blogueuse, le rotin a le potentiel de sublimer un intérieur lorsqu’il est utilisé avec parcimonie: «Mieux vaut opter pour une grande pièce, plutôt que pour plusieurs petites.» Emmanuelle n’avait donc pas que du charme: elle avait aussi bon goût.
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Une version de cet article est parue dans le magazine FLAT (no 1).

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