Face à la menace terroriste, le mot d’ordre de la Suisse officielle ne semble pas très loin du vieil adage «Y’a pas le feu au lac». En attendant un réveil brutal?
Donc, tout va bien. C’est la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga qui le dit. Expliquant que si, dans les jours qui ont suivi les attentats de Paris, le Conseil fédéral n’avait pris aucune décision particulière, c’était parce que les mesures symboliques, l’activisme pour l’activisme, n’apportent rien. D’autant que la Suisse ne serait pas spécialement menacée par l’internationale terroriste. Ce que nombre de spécialistes du renseignement d’ailleurs contestent, ne serait-ce que par la présence d’une grosse poignée de djihadistes suisses en Syrie.
Mais admettons. Sauf qu’un symbole n’est pas fait pour apporter quelque chose, mais être ce qu’il est: un symbole. Autrement dit, une impulsion, un signe. Ce qu’à l’évidence n’est pas la vague promesse de la présidente d’éventuellement examiner s’il y aurait par hasard une très hypothétique nécessité d’augmenter les ressources des services de renseignements, ou, plus fou encore, de renforcer les effectifs des gardes-frontière.
C’est la même prudence, le même profil très bas, qu’a choisi la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats. Une norme pénale définissant ce qu’est le terrorisme et établissant les peines encourues pour appartenance ou apologie de cette mouvance? Vous n’y pensez pas. Les dispositions prévues contre le crime organisé suffisent. Mafieux, djihadistes, même sac.
L’auteur de la proposition, le genevois Christian Lüscher, s’avoue «attérré» devant la mise au placard de son initiative et avoir même les chausettes qui lui en tombent: «Actuellement nous avons une disposition légale pour condamner le financement du terrorisme mais pas de base légale spécifique pour réprimer le terrorisme».
La norme Lüscher prévoyait entre autres des condamnations de dix ans minimum pour actes de terreur ayant entraîné la mort ou des blessures. Dans le collimateur notamment les djihadistes revenant en Suisse après avoir commis quelques sanglants forfaits en Syrie. Pas anecdotique si l’on sait, que bien davantage que ces requérants syriens qui font tellement peur à l’UDC et à toute l’extrême-droite européenne, ces «combattants» de retour au pays représentent, de l’avis de tous les spécialistes, une menace non seulement réelle mais majeure.
Du luxe tout cela, du gadget, semble pourtant estimer la patronne de l’Office fédéral de la police (Fedpol) Nicoletta della Valle, assurant, à l’unisson des parlementaires, «que les bases légales actuelles suffisent pour le moment».
Ce «pour le moment» peut sembler un petit peu étrange. Que faut-il donc de plus terrible pour que le moment arrive où elles ne suffiront plus, ces fameuses bases? Plus curieux encore cette explication, de la même cheffe de FedPol, voulant qu’il soit très difficile, d’un point de vue légal et international, de trouver une définition séparant «terroriste» et «combattant de la liberté». Voyons, avec un petit effort, et à moins d’une sévère épidémie de confusion mentale, cela devrait bien être possible, sans refaire toute la métaphysique du droit.
Surtout que pendant ce temps, un socialiste musulman de Winterthur vient confirmer les allégations de la Weltwoche faisant état d’une mosquée zurichoise radicalisée, affirmant lui-même y avoir rencontré ces derniers mois «de nombreux jeunes désireux de rejoindre l’EI».
Pas de quoi pourtant inquiéter non plus Samuel Althof, en charge d’un Bureau de prévention de l’extrémisme et de la violence, qui minimise toute l’affaire dans «24 heures»: «C’est possible que des prédicateurs répandent un discours avilissant sur notre territoire, mais cela ne fait pas d’eux des terroristes vu qu’il n’y pas de passage à l’acte. »
Bref la ligne générale, en matière de menace terroriste en Suisse semble bien se résumer au vénérable et malicieux adage: «Y’a pas le feu au lac». Mais attention, précise Simonetta Sommaruga, «cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire». Certes, mais ça y ressemble quand même.