KAPITAL

Ces PME qui vivent des gares CFF

Au cœur des villes, les gares suisses se sont transformées en centres économiques et font vivre de nombreux commerces. Leurs emplacements stratégiques offrent l’avantage d’une clientèle régulière, mais avec d’importantes contraintes d’ouverture ainsi que des loyers élevés.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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Chaque jour, 160’000 personnes passent par la gare de Genève et 130’000 par celle de Lausanne. En 2021, les CFF ont transporté chaque jour 885’000 clients, qui ont chaque fois traversé au minimum deux des plus de 800 gares et haltes CFF disséminées sur le territoire helvétique. Au côté des grands groupes et franchises internationales comme Bagelstein (Bagel & Juice Factory) ou Valora, de nombreuses PME romandes ont trouvé leur place parmi les 1300 commerces situés dans les gares suisses. «Les pendulaires sont une clientèle de choix pour nos pressings spécialisés dans une clientèle d’affaire, dit ainsi Nicolas Probst, CEO de 5àsec. Le client dépose ses habits et, dans les 24h-48h, il peut les récupérer sans avoir à faire de détour.» La société de pressing, qui emploie 220 personnes, compte 67 filiales en Suisse, dont six localisées dans les gares.

Les CFF ont bien compris le potentiel économique de leurs gares, et ont entamé depuis plusieurs années d’importants travaux de rénovation. «Genève Cornavin a été entièrement transformée en 2014, des gares moyennes comme Renens, Vevey ou Montreux ont également été modernisées et celle de Lausanne entame sa grande mue, explique Frédéric Revaz, porte-parole de la régie fédérale. Cependant, tous les commerçants ne sont pas en mesure de répondre aux exigences d’un tel emplacement: les clients sont souvent pressés, les horaires sont élargis. Il faut être en état de servir un grand nombre de personnes dans un court laps de temps, et d’avoir les effectifs nécessaires.»

Si les entreprises répondent adéquatement à ces exigences, l’emplacement peut leur offrir une très belle opportunité. Ainsi pour son arrivée en Suisse romande, l’entreprise Tibits a transformé le mythique buffet de la gare de Lausanne en 2018. «Pour nous, le futur se trouve dans les gares, résume avec enthousiasme Daniel Frei, fondateur et CEO de la chaine de restaurants végétariens fondée en 2000 par les frères Frei et la famille Hiltl. Tibits veut poursuivre sa croissance en Suisse romande et l’imminent projet de rénovation de la gare Cornavin prévus en 2027 offrira certainement une nouvelle opportunité pour le groupe. «Notre modèle s’y prête particulièrement car la clientèle peut directement payer au comptoir puis aller se servir au buffet, poursuit Daniel Frei. Cela permet de réduire les délais d’attente pour la prise des commandes et le paiement.»

Loyers élevés

En 2021, la location de surfaces – et les autres revenus de tiers comme la publicité ou les parkings – a rapporté aux CFF 604 millions de francs, c’est-à-dire 11,6% de plus que l’année précédente et presque le double de bénéfices en comparaison à 2010. «Les mises en service de nouveaux sites – comme la gare des Eaux-Vives (GE) et la gare de Renens (VD) – et les nouvelles installations comme le quartier Europaallee à Zurich ont amélioré les revenus», détaille le porte-parole des CFF.

Les loyers se composent d’une part fixe et d’un pourcentage du chiffre d’affaires qui varie en fonction de l’activité et de la taille de la gare. «Il s’agit d’un contrat établi pour optimiser et contrebalancer les risques et bénéfices, explique Markus Christen, directeur du département de marketing à HEC Lausanne. Lors de la pandémie par exemple, les magasins ont été forcés de fermer et les coûts fixes de location sont restés. En revanche, la partie performance incombait au propriétaire. Les CFF ont pris conscience de la valeur de leur emplacement central qui bénéficie d’un trafic quotidien.»

«Nous collaborons avec les CFF depuis 1993, explique Nicolas Probst, CEO de l’entreprise 5àsec Suisse. Ces dernières années, ils ont dynamisé leurs gares et les business qui y sont installés. Les contrats se font désormais sur appel d’offre et sont limités à 5 ans, avec possibilité de renouvellement.» Pour 5àsec, le prix du loyer par m2 dans la gare de Genève est environ 20% plus cher que celui du pressing situé en ville. «D’autre part, les CFF ont certaines exigences dont l’ouverture 7j/7. Le dimanche est un jour qui dissipe les bénéfices de la semaine, notamment à cause de la majoration des salaires le weekend.»

La pandémie de Covid a changé les habitudes, et entre 2019 et 2021, le pourcentage de la population active travaillant à domicile est passé de 25% à 40%. «Le flux des passagers dans les gares a diminué, ce qui a lourdement affecté nos filiales qui enregistrent un chiffre d’affaire 25% inférieur à celui de 2019», constate Nicolas Probst. La rentabilité des commerces en gare a été fortement mise sous pression, et cela reste le cas encore cette année car l’affluence des trains reste actuellement 6,3% moindre qu’en 2019, confirment les CFF. «Le télétravail établi pendant le Covid persiste et cela se répercute sur nos affaires», dit le directeur de la chaîne de pressing, qui confie que l’emplacement en gare n’est pas forcément plus rentable que celui en ville: «Le volume des affaires en gare est plus important, certes, mais avec des marges plus réduites. Cependant, nous sommes confiants que le trafic va continuer à croître et croyons fortement au développement des gares.»