tadalafil professional

Humains: trop de lumière?

Les chercheurs comprennent depuis peu l’impact de la lumière sur l’organisme: elle peut influencer le sommeil, la dépression, mais aussi le diabète et le cancer.

En évoluant, le corps humain est devenu un métronome d’une fiabilité impressionnante, calibré par des horloges biologiques reposant sur l’une des plus grandes certitudes de l’humanité: le jour succède à la nuit et la nuit succède au jour. Puis l’humain a dompté la lumière.

Pour beaucoup, le concept de «24h/24» est devenu une réalité tangible. Qu’il s’agisse de travailler, de faire la fête ou simplement d’allonger les journées, grâce à la lumière artificielle, les humains ont dompté la nuit. Il est de plus en plus clair que cette victoire sur l’obscurité a des répercussions sur l’équilibre émotionnel, physique et mental des individus.

L’impact de la lumière sur l’organisme est un sujet que la science ne maîtrise que depuis une dizaine d’années. Et les découvertes doivent alerter autant qu’aider à améliorer les technologies. Chez l’humain, l’horloge interne est régulée par un réseau d’environ 20’000 neurones qui forment le noyau suprachiasmatique (NSC), situé dans l’hypothalamus. Tel un métronome, le NSC dirige le corps en fonction des impulsions nerveuses envoyées par les yeux, qui réagissent à la lumière du jour. Le NSC gère la libération d’hormones (notamment le cortisol, qui nous rend plus attentifs) et l’évolution de notre température corporelle, afin d’adapter notre état physiologique et psychologique aux différents moments de la journée.

Maladies cardiaques et diabète

«Le fait d’être confronté à la lumière pendant la nuit est un événement récent dans l’histoire de l’humanité, explique Cheng Chi Lee, qui étudie les rythmes circadiens à la University of Texas Medical School. L’impact biologique de ce phénomène commence tout juste à être perceptible.» Des études ont montré que les personnes travaillant de nuit sont plus exposées à certaines pathologies, notamment des formes spécifiques de cancer, de maladies cardiaques et de diabète de type 2. Chez les femmes qui travaillent en 3×8 et les hôtesses de l’air, le risque de cancer du sein est 50% plus élevé.

L’élément déclencheur est encore mal connu. Il pourrait s’agir de la perturbation du sommeil, élément capital pour la récupération physique, la consolidation de la mémoire et peut-être la désintoxication du cerveau. Par ailleurs, ces personnes ont tendance à manger plus la nuit, un moment où le corps est moins apte à digérer les aliments, ce qui peut entraîner des pics d’insuline et potentiellement expliquer le lien avec le diabète.

Mais pas besoin d’aller jusque-là. Une étude réalisée sur des volontaires qui, tous les soirs pendant deux semaines, ont lu un livre sur leur iPad avant d’aller se coucher, a démontré que les tablettes retardaient la sécrétion de mélatonine (l’hormone qui indique à notre corps que la nuit est tombée) d’une heure et demie en moyenne. Par ailleurs, après lecture sur l’iPad, le sommeil paradoxal des participants était perturbé, alors qu’il s’agit d’une phase importante pour la consolidation de la mémoire. Ils se sentaient également plus fatigués le lendemain.

La couleur des sentiments

La lumière affecte aussi nos émotions. Nous sommes nombreux à nous sentir mieux quand le soleil brille et, en Europe du Nord, plus de 12 millions de personnes souffrent de dépression saisonnière, un trouble qui survient pendant les mois d’hiver, lorsqu’elles sont le moins exposées à la lumière du jour. L’impact peut aussi se faire plus discret: Gilles Vandewalle et ses collègues de l’Université de Liège, en Belgique, ont étudié le cerveau de volontaires écoutant des mots prononcés de manière neutre ou agressive alors qu’ils étaient exposés à une lumière bleue ou verte. Les régions du cerveau qui traitent les émotions ont réagi plus fortement au ton agressif qu’au ton neutre, et de manière encore plus marquée en présence de lumière bleue, à laquelle nos photorécepteurs sont plus sensibles. Les chercheurs ont également découvert que l’exposition à la lumière orange pouvait doper l’attention et la mémoire.

Plusieurs entreprises surfent d’ores et déjà sur ce concept et proposent des ampoules LED qui changent de couleur au fur et à mesure de la journée ou en fonction de notre humeur. D’autres ont développé des dispositifs destinés à nous aider à mieux maîtriser notre horloge interne. Des appareils portables, tels que le Re:Timer ou les lunettes Ayo, utilisent des LED qui émettent de la lumière appartenant au spectre vert et bleu, auquel nos yeux sont particulièrement sensibles, pour contrer les effets du décalage horaire, donner un coup de fouet ou nous aider à nous lever tôt ou à nous coucher tard.

Utiliser intelligemment la lumière pour agir positivement sur l’humeur des gens, c’est l’idée du projet De-escalate, lancé fin 2014 par l’Intelligent Lighting Institute de l’Eindhoven University of Technology (TU/e). Désireux de comprendre l’impact de la lumière sur le comportement, ses chercheurs ont observé l’influence d’un éclairage froid ou chaud sur la cantine du campus. Ils ont découvert que les gens discutaient plus, riaient plus et étaient plus polis en présence d’une lumière chaude.

Eclairage urbain et vandalisme

Plus ambitieux encore: utiliser la lumière pour atténuer l’agressivité. Les chercheurs de la TU/e ont le projet de transformer en laboratoire les rues d’un quartier populaire dans lequel se trouvent de nombreux bars. Pendant les deux prochaines années, tous les week-ends, la couleur et l’intensité de l’éclairage des rues changeront grâce à des LED conçues pour l’étude. L’équipe recueillera des données (nombre de clients, niveau sonore, ventes de bière et activité sur les réseaux sociaux) puis les comparera aux registres de la police. Les incidents (du vandalisme aux agressions) se comptant par centaines chaque année dans cette rue, l’idée est de déterminer si la lumière peut rendre un environnement plus serein.

Les espaces de travail pourraient également profiter de ce type de recherche. Marilyne Andersen, doyenne de l’Ecole d’architecture de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), cherche à concevoir des bâtiments prenant en compte l’incidence de la lumière sur la santé. Plus facile à dire qu’à faire, notamment parce que les effets ne sont pas instantanés. «L’impact dépend de l’exposition dans les quatre dernières heures et la veille, mais aussi du cycle de sommeil de la personne, de la couleur et de la configuration des lumières, explique-t-elle. Tous ces éléments ont des répercussions différentes.» L’équipe de Marilyne Andersen planche sur un modèle mathématique utilisable par tous les architectes pour comparer l’impact des différentes dispositions sur la santé des occupants.

Ces technologies améliorent d’ores et déjà notre rapport à la lumière et pourraient permettre de réduire les conséquences de l’éclairage permanent sur notre santé. Il existe toutefois une méthode fiable, bon marché et écologique: couchez-vous de bonne heure, éteignez la lumière et profitez de la pénombre. Qui sait, vous vous verrez peut-être sous un nouveau jour.
_____
ENCADRE

Les vertus de l’obscurité

L’absence totale de lumière pendant la nuit est indispensable à l’organisme. Explications.

Que répondriez-vous si l’on vous questionnait sur vos besoins vitaux? De l’eau, de la nourriture, un toit? Peu de chances que vous évoquiez l’obscurité. Tout au plus vous penseriez au sommeil.

A tort, si l’on en croit les dernières avancées scientifiques. Cheng Chi Lee, qui étudie les rythmes circadiens à la University of Texas Medical School, souligne que les preuves des vertus de l’obscurité sont de plus en plus nombreuses.

En 2013, une expérience a montré qu’une période d’obscurité complète pourrait aider à réduire les problèmes de vue. Une équipe de l’Université Dalhousie, au Canada, a simulé l’amblyopie (une baisse de l’acuité visuelle d’un œil en raison de problèmes de connexion avec le cerveau, qui touche environ 4% des humains et peut conduire à la cécité si elle n’est pas traitée) chez sept chats en les privant de signaux visuels sur un œil et en mesurant la vue des deux yeux. Les félins ont été plongés dans le noir complet pendant dix jours à l’issue desquels l’acuité de l’œil lésé s’était nettement améliorée. Les chercheurs pensent que l’obscurité pourrait permettre à la vue de revenir à un stade de développement où elle est plus adaptable.

Autre aspect: une étude récente a observé l’effet du tamoxifène sur les cellules cancéreuses de souris. Une partie des rongeurs était exposée à des cycles de 12 heures de lumière puis 12 heures d’obscurité totale, tandis que pour l’autre partie, la phase d’obscurité était remplacée par une période de lumière très ténue, de l’ordre de celle qui peut filtrer sous une porte de chambre d’hôpital. Résultat: même avec une intensité lumineuse très faible, les cellules cancéreuses ont fini par devenir résistantes au traitement. Bien que l’étude n’ait porté que sur des souris, l’équipe de l’Université Tulane de la Nouvelle-Orléans pense qu’elle pourrait avoir des conséquences majeures sur l’administration des traitements anti-cancer.

Les travaux de Cheng Chi Lee indiquent de leur côté que le fait de plonger des souris dans le noir modifie le métabolisme des lipides, le corps se mettant à brûler des graisses plutôt que du glucose. Cela permet de comprendre ce qui se passe pendant l’hibernation et pourrait être pertinent pour les humains, les gènes régulant nos fonctions circadiennes étant très proches de ceux des autres mammifères. «Certaines espèces de primates peuvent hiberner, donc je pense que le processus biologique existe toujours chez les humains», déclare-t-il. Il pourrait alors s’agir d’une base pour traiter l’obésité et le diabète de type 2.
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 6).

Pour souscrire un abonnement à Technologist au prix de CHF 45.- (42 euros) pour 8 numéros, rendez-vous sur technologist.eu