GLOCAL

Rentes à vie et passeports au compte-goutte

Des Conseillers fédéraux qui s’accrochent à des privilèges d’un autre âge, une loi sur des naturalisations déjà en baisse mais qu’on durcit encore: la Suisse aussi sait marcher sur la tête.

Terre de contrastes, comme disent les mauvaises agences de voyage. Mais quand même: voilà un pays où les millionnaires grouillent à chaque coin de rue — 330’000, cela fait du monde. Où un sadique pervers en est réduit à supplier qu’on ne lui accorde pas de libération conditionnelle. Où les Conseillers fédéraux, chaque fois qu’une interpellation parlementaire veut la remettre en cause, justifient leur retraite à vie — 18’500 francs mensuels tout de même — au motif que cela «garantit leur indépendance».

Sans ça ils feraient quoi, une fois quittée la coupole, nos bons ministres? Traîtres à la patrie? Lanceurs d’alerte? Réfugiés politiques à Moscou? Mercenaires au service de l’Etat islamique en Irak et au Levant?

Une manière en tout cas candide d’avouer la motivation profonde et cachée de leur carrière politique, de lever un voile sur un coin de leur âme potentiellement corruptible. De donner enfin raison au vieux proverbe tant ressassé — à l’étranger surtout: «Pas d’argent, pas de Suisses.»

Après le cas Metzler élue à 34 ans, c’est celui d’Alain Berset, intronisé à 39, qui relance la question. Le Conseiller aux Etats radical Raphaël Comte le dit tout net dans La Liberté: «Ce système a été créé alors que la prévoyance professionnelle n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui.» Ces fameuses rentes, les cantons un à un sont d’ailleurs en train de les supprimer pour leurs conseillers d’Etat. Le Valais vient par exemple de franchir le pas.

L’objectif est de s’adapter à une réalité qui n’a plus rien à voir avec celle de jadis et encore moins de naguère, comme le résume le quotidien fribourgeois: «Les ministres étaient alors élus plus vieux et ne jouissaient pas d’une espérance de vie aussi longue.» Quatorze ex-conseillers fédéraux en tout cas sont au bénéfice actuellement d’un tel «susucre» jusqu’à ce que mort s’en suive, quand trois y ont renoncé — les noms de Blocher, Metzler et Deiss sont cités.

Contraste encore avec une Suisse jugée la plus multiculturelle des équipes engagées au Mondial de foot, mais qui reste pourtant l’un des pays qui naturalisent le moins. Et même pas toujours à bon escient, s’il faut parler encore de foot: le Bâlois Ivan Rakitic, devenu un joueur de niveau mondial, a choisi pour finir de défendre plutôt les couleurs à damiers de sa Croatie d’origine.

Mais où le paradoxe vire vraiment à l’absurde, c’est quand on se retrouve avec une nouvelle loi sur la naturalisation qui entend durcir encore les conditions d’obtention du précieux document à croix blanche, alors même que depuis plusieurs années lesdites naturalisations sont en baisse. Pour différentes raisons plus ou moins identifiées: les vagues venues d’ex-Yougoslavie se sont taries, tandis que la procédure est restée longue et exigeante.

Dans ce contexte, une loi qui complique encore la procédure semble particulièrement mal venue. Déjà que la mesquine exigence introduite de maîtriser une langue nationale non seulement à l’oral — ce qui est bien normal — mais aussi à l’écrit décourage inutilement nombre de valeureux candidats. Bref, d’un côté on se gargarise de cette bande de gamins multicolores qui bataillent sous la tunique nationale et de l’autre on asphyxie les meilleures volontés.

Une frilosité que le démographe Philippe Wanner décrit dans Le Temps comme porteuse de tous les dangers: «La naturalisation concerne des personnes qui vivent en Suisse et vont y rester. En les marginalisant on favorise le repli communautaire. C’est une bombe sociale.» De quoi réveiller les rentiers à vie?