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Des banquiers sous pression

Surcharge de travail, objectifs intenables, menaces de licenciement: les collaborateurs des établissements financiers se plaignent de la dégradation de leurs conditions de travail, dans un secteur en crise.

«Les burn-out sont nombreux. Personne n’échappe à la pression, personne ne sait combien de temps il sera encore là. L’ambiance est extrêmement tendue. Cela fait cinq ans que nous nous trouvons dans une situation de gestion de crise et de restructuration dont nous ne voyons pas le bout.» Catherine, gestionnaire de fortune dans une grande banque à Genève, dispose désormais d’une hot-line pour trouver un soutien. Depuis peu, son employeur organise aussi des séminaires sur l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée.

Surcharge de travail, objectifs intenables, menaces de licenciement: les collaborateurs des établissements financiers se plaignent de la dégradation de leurs conditions de travail, dans un secteur sous tension. Depuis l’éclatement de la crise financière, le contrôle des établissements bancaires s’est resserré avec l’application de nouvelles régulations par l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). L’activité transfrontalière a été bouleversée. Par le passé, les banquiers suisses pouvaient démarcher la clientèle étrangère sans respecter les règles en vigueur dans les différents pays. Aujourd’hui, ils doivent suivre à la lettre les conditions locales. Sur le plan fiscal, face aux pressions des pays tiers, les banques consacrent d’importantes ressources pour se mettre à jour. Certaines doivent par ailleurs s’acquitter d’amendes.

«Les coûts de mise en place des nouvelles réglementations se chiffrent à plusieurs centaines de millions, alors que les amendes peuvent être largement plus importantes, indique Jean-François Lagassé, associé responsable Corporate Finance en Suisse pour le cabinet d’audit Deloitte. Cela s’inscrit dans un contexte où plusieurs banques sont déjà déficitaires.» La facture est particulièrement salée pour la place genevoise, très centrée sur la gestion de fortune.

Les employés font les frais de ce changement de paradigme et de la chute des profits. «Nous percevons clairement une augmentation de la pression, souligne Clément Dubois, responsable romand de l’Association suisse des employés de banques (ASEB). Le nombre de personnes qui s’adressent à nous pour demander de l’aide augmente.» La charge de travail s’est nettement alourdie. Les tâches sont plus nombreuses et complexes, alors que les équipes sont réduites en raison des départs et des licenciements. Et les obligations administratives, découlant des nouvelles réglementations et des efforts entrepris pour le règlement du passé en matière fiscale, ont explosé. Les employés doivent désormais consigner par écrit leurs moindres tâches et être en mesure de tout justifier.

Travail administratif. Malgré ces changements, les objectifs chiffrés sont restés semblables. «Avant, le mot d’ordre était “Fais de l’argent!”. Aujourd’hui, cette exigence demeure mais je dois en plus remplir une multitude de formulaires et de rapports, confie un gestionnaire de fortune. L’administratif représente 70% de mon travail, contre 20% auparavant, raconte un autre. Cet aspect a clairement pris le dessus.»

Voyager devient aussi plus compliqué en raison des règles qui varient d’un pays à l’autre et des risques juridiques encourus. Pour s’assurer que toutes les activités se déroulent selon les normes en vigueur, les banques ont instauré de stricts mécanismes de surveillance interne. Un facteur de pression supplémentaire. Certains établissements vont jusqu’à contrôler courriels et conversations téléphoniques de leurs employés. «Ils agissent comme des policiers et distribuent des blâmes, même pour de petites choses, par exemple pour ne pas avoir rempli correctement un profil de client, poursuit notre interlocuteur. Cela peut rapidement coûter cher et aller jusqu’au licenciement.»

Certains dénoncent cependant l’hypocrisie de leur hiérarchie: parallèlement à ces actions pour se couvrir à tout prix, le personnel est poussé à enfreindre les règles. «Nous sommes jugés en fonction de nos performances, souligne Catherine. Atteindre les rendements exigés est impossible en respectant les règles de démarchage et de conseil à la clientèle étrangère. Du coup, nous les transgressons, mais sans laisser de trace. Nos supérieurs sont bien évidemment conscients de la situation. D’ailleurs, certains objectifs ne sont communiqués que par oral. Mais lorsqu’il y a un problème, la responsabilité repose sur les employés. Cette situation provoque un grand malaise à l’interne. En une année, un tiers de mon équipe est partie.»

La menace du licenciement. La place financière genevoise a connu quelques licenciements collectifs, mais un certain nombre d’établissements se séparent de leurs employés au compte-goutte, à l’abri des regards, explique Clément Dubois, de l’Association suisse des employés de banques (ASEB). Le phénomène touche aussi le back-office, les activités qui ne sont pas en contact direct avec la clientèle. «Cela représente un facteur de stress supplémentaire, car le management cherche toutes les petites fautes des employés pour justifier ses choix.»

L’ASEB signale aussi un nouveau phénomène «qui s’installe insidieusement» dans les méthodes d’évaluation: les quotas de personnes qui doivent recevoir une note insuffisante. Potentiellement, une réserve de salariés que l’on pourra licencier. Du côté de Genève Place Financière, la fondation qui regroupe les banques de la place, le directeur Edouard Cuendet indique être mal placé pour s’exprimer, dans la mesure où chaque établissement bancaire a ses spécificités. Il souligne cependant que «la situation des employés ne laisse personne indifférent». Et que les conditions, notamment salariales, restent «au-dessus de la moyenne». La rétribution fixe annuelle moyenne du secteur bancaire en Suisse a atteint 106 000 francs en 2013, selon une enquête de l’ASEB.

La tension se ressent pourtant aussi dans les rémunérations, surtout dans les bonus. Dans la gestion de fortune, la part variable pouvait facilement égaler le montant de la part fixe avant la crise. Aujourd’hui, les bonus représentent généralement un ou deux mois de salaire, voire sont inexistants.

Selon un sondage du portail d’informations financières finews.ch, un employé de banque suisse sur cinq n’a pas reçu de bonus en 2012. «Il y a un immense tabou concernant les rémunérations, notamment en raison des grandes disparités dans l’entreprise, note un employé d’une banque privée genevoise. Les ressources humaines font tout pour que rien ne filtre.»
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Des répercussions sur l’économie locale

Bonus en baisse, avenir incertain: les banquiers dépensent moins que par le passé.

«Nous avons adapté notre train de vie, raconte une gestionnaire de fortune. Les pauses déjeuner de deux heures entre collègues dans des restaurants coûteux n’existent plus.» Pascal Brault, responsable du restaurant étoilé Le Chat Botté, confirme une baisse de la fréquentation de la clientèle bancaire depuis deux ans. Au Nonolet, un bar très fréquenté des banquiers, la gérante Christelle Gaillard observe que la manière de consommer a changé. «Ils regardent davantage les prix, se font moins plaisir.»

Certains garages sentent également une différence. «Depuis fin 2012, cette clientèle a déserté les showrooms, note Thierry Bolle, directeur du garage Mercedes-Benz de la Marbrerie. L’achat d’automobile pour le plaisir, que l’on constatait à la période des bonus, n’existe presque plus.» A l’Usine Opéra, un club de sport haut de gamme du quartier des banques, le directeur Michel Rizzo constate que certains clients renouvellent leur abonnement par trimestre plutôt que par année «en raison du manque de visibilité sur l’emploi, aussi bien en termes de licenciements que de mutations à l’étranger». Les produits annexes, comme le coaching et les soins, sont aussi touchés.

A cela s’ajoutent les réductions des dépenses des banques pour certains services. La société de taxi de luxe Ambassador enregistre une baisse de revenus d’environ 15%, indique le responsable du service limousine Jean-Philippe De Polo. «Depuis une année environ, les locations de véhicule se font à la course plutôt qu’à la journée.» Mencia de Rivoire, directrice de l’entreprise de conciergerie Le Bureau, relève, pour sa part, une diminution de son chiffre d’affaires de 10 à 20% par an. «Les départements de marketing des banques continuent de faire appel à nous pour trouver des billets pour des événements, par exemple sportifs ou de haute couture, pour leurs clients, mais avec des budgets moins importants.»

Les autorités genevoises reconnaissent l’affaiblissement du pouvoir d’achat des employés du domaine bancaire. Elles remarquent toutefois que certains secteurs de l’économie genevoise connaissent une situation plus favorable. «La masse salariale globale versée dans le canton augmente, précise le conseiller d’Etat chargé de l’Economie, Pierre Maudet. La montée en puissance du négoce et la bonne santé de l’horlogerie ont compensé.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.