LATITUDES

Au CHUV, l’architecture en renouvellement perpétuel

Chantier après chantier, le CHUV se transforme constamment pour répondre aux besoins et maintenir son statut de référence. L’idée force : c’est le médecin qui doit se déplacer vers les malades plutôt que l’inverse.

Il aura fallu vingt ans de planification et dix autres de travaux pour que la Cité hospitalière voie le jour en 1982, transformant ainsi le paysage lausannois. Quarante ans plus tard, l’établissement est devenu, avec ceux de Genève, Bâle, Zurich et Berne, l’un des cinq hôpitaux universitaires de Suisse. Et tout a changé ou presque : la formation, la recherche et les soins mais aussi la démographie vaudoise. Alors que l’hôpital avait été dimensionné pour répondre aux besoins de 500’000 habitants au début des années 1980, le canton en compte désormais plus de 800’000 et devrait franchir la barre du million en 2040, dénombrant ainsi autant de patient·e·s potentiel·le·s.

Une galette à transformer

Pour rester à jour, l’hôpital doit développer sa stratégie immobilière, exploiter et maintenir le patrimoine, faire évoluer les laboratoires et les blocs opératoires, mais aussi gérer la construction et la rénovation des bâtiments, améliorer l’accueil, assurer la sécurité opérationnelle… «Un hôpital n’est jamais terminé», résume Catherine Borghini Polier, l’architecte des lieux, qui assume ces missions en lien avec la direction et les autorités cantonales.

Arrivée en 2008 à la tête de la direction des constructions, de l’ingénierie, de la technique et de la sécurité (CIT-S) du CHUV, elle pilote une équipe de 250 personnes, dont une cinquantaine d’architectes et d’ingénieur·e·s. Leur mission ? Adapter un ensemble immobilier dessiné dans les années 1960 et relativement classique dans sa conception. Une «galette», qui réunit l’ensemble des installations, des appareils et des dispositifs médicaux nécessaires aux soins.

«Sur le plan pratique, l’architecture hospitalière doit répondre à trois enjeux principaux : une bonne gestion des personnes, une amélioration constante des différents espaces, et la prise en compte des contraintes techniques comme les voies d’acheminement de l’oxygène ou la largeur des couloirs, explique Catherine Borghini Polier. Nous devons d’abord contribuer à la prise en charge cohérente des patient·e·s et à l’optimisation des parcours de soins, autour de l’idée que ce sont les médecins qui se déplacent vers les malades plutôt que l’inverse. Nous devons également repenser l’organisation et le partage de l’espace pour gagner en souplesse, par exemple en permettant à une même salle de servir à différents usages en fonction des besoins.»

Spécificités hospitalières

Un hôpital n’est pas un bâtiment comme les autres. «Au-delà du fait qu’il doive être facile à entretenir et à nettoyer, chaque espace a ses caractéristiques et ses normes propres, parfois drastiques comme en chirurgie. Nous devons aussi tenir compte de certaines contraintes techniques de construction, par exemple en concevant des bâtiments capables de résister à des inondations ou à un séisme, au moins pour certains équipements vitaux comme les blocs opératoires.»

C’est cette variété de projets et de défis qui plaît à Catherine Borghini Polier : «L’émergence de thérapies innovantes réclame par exemple des adaptations uniques pour certains laboratoires de pointe, comme ceux du Ludwig Institute for Cancer Research sur le site du Biopôle d’Épalinges, où les investissements ont permis la création d’un Centre d’immunologie, d’infectiologie et de vaccinologie qui a l’ambition de se positionner comme le leader suisse dans ce domaine.» Un défi constant, d’autant plus difficile à conduire qu’aucune formation spécifique n’existe en Suisse pour les architectes hospitaliers, souligne celle qui a commencé sa carrière en dessinant la Policlinique médicale universitaire, aujourd’hui Unisanté. On apprend beaucoup par la pratique. Notre métier relève bien de l’architecture, mais l’adaptation est la règle : nous devons constamment trouver un sens à chaque espace, faire preuve d’inventivité. Nous formons donc nos nouveaux·elles collaborateur·trice·s en interne.»

Concentrer les soins

Démographie médicale oblige, le principal enjeu de l’architecture hospitalière consiste à répondre à la hausse constante de l’activité. Chaque année, les 12’200 salariés du CHUV accueillent plus de 51’000 patient·e·s, dont plus de 20% pour des opérations chirurgicales. D’où un évident problème de place, ajoute Catherine Borghini Polier. «En quarante ans, nous avons petit à petit sorti du bâtiment hospitalier tout ce qui n’était pas indispensable aux soins, comme les services de direction et de logistique ainsi qu’une partie des laboratoires de recherche.» Une chasse aux mètres carrés qui a permis de s’affranchir progressivement du passé : les chambres de cinq lits – courantes dans les années 1980 – ont presque disparu au profit de chambres doubles ou individuelles, plus confortables et mieux adaptées aux attentes de la patientèle.

«La pratique et le savoir médical doivent toujours être au service des patient·e·s, et l’architecture y participe, pointe Catherine Borghini Polier. Nous tentons partout de gagner en confort, car nous savons désormais que les malades se rétablissent plus vite dans un cadre bienveillant. Nous avons ainsi également créé des infrastructures de support comme des salles de physiologie pour les aider à se remettre en mouvement aussi vite que possible.» À leur manière, les architectes contribuent ainsi à répondre une tendance majeure : l’augmentation des soins ambulatoires, en progression de 11% au CHUV entre 2020 et 2021.

Réalisations marquantes

Aux moyens humains s’ajoutent des moyens financiers substantiels : lancé en 2009, le plan de modernisation actuellement déployé prévoit un total de 1 milliard de francs d’investissements, dont 800 millions ont déjà été engagés. «Le chiffre peut sembler considérable, mais il est à mettre en rapport avec le budget global du CHUV», soit 1,9 milliard de francs pour la seule année 2021.

Depuis, les entreprises se sont multipliées, à l’instar des nouveaux édifices de l’hôpital psychiatrique de Cery à Prilly, de l’extension de 250 places supplémentaires du restaurant du personnel en 2014, ou encore de la construction des locaux regroupant le centre de sécurité, la centrale d’accueil téléphonique et le centre de contrôle.

Les initiatives plus ambitieuses prennent davantage de temps. Dernier exemple en date : la rénovation totale du bloc opératoire central, mis en service en novembre 2021 après cinq ans de travaux. Doté d’un budget de 105 millions de francs, le projet permet aux équipes du CHUV de disposer désormais de 22 salles équipées selon les derniers standards technologiques – huit de plus qu’avant les travaux. Là encore, une partie du travail est invisible : «La spécificité du projet tient au fait que tous les flux passent par le plafond, de l’énergie à l’oxygène, en passant par les câbles du réseau informatique et le flux d’air laminaire qui garantit l’asepsie du site opératoire», souligne Catherine Borghini Polier. Les soignant·e·s disposent ainsi d’un espace désencombré, plus net et plus fonctionnel.

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8 À 10 ans: De l’intention à la réalisation, le temps nécessaire à la concrétisation d’un petit programme, au budget de 20 à 40 millions de francs.

1 milliard: Le montant en francs suisses des investissements prévus par le CHUV dans leur plan de rénovation lancé en 2009.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 26).

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