GLOCAL

Tarte à la crème, j’écris ton nom

L’agression contre Céline Amaudruz à l’Université de Genève a montré que la liberté d’expression n’était plus une notion aussi claire. Ou quand l’obscurantisme gagne le campus.

On peut penser pis que pendre de Céline Amaudruz. Et même en dire publiquement à peu près autant. Comme de tout le monde. En dehors évidemment de l’injure et de la diffamation. Cela s’appelle la liberté d’expression. Un concept tout simple. Si simple qu’il permet de distinguer sans erreur les démocraties des dictatures. Si limpide qu’il interdit à tout honnête homme d’éprouver par exemple, la moindre sympathie, le plus petit début de compréhension pour la Russie de Poutine et ou la Chine de Xi.

La liberté d’expression néanmoins semble une idée encore trop complexe pour la Conférence universitaire des associations d’étudiants (CUAE) de l’Université de Genève. Laquelle, tout en jurant n’avoir pas organisé et ne pas revendiquer l’agression contre la politicienne UDC, menés par neuf courageux individus masqués, l’approuve néanmoins de fait, puisqu’elle désapprouve la plainte pénale déposée contre x par le rectorat.

La CUAE entend ainsi prendre «la défense des étudiants potentiellement impliqués dans cette situation» et s’opposer de cette manière «aux discours et aux idées d’extrême droite, dangereuses pour l’éducation publique et l’accès à la formation». Voilà qui fait, sur le papier du moins, plutôt joli et bien intentionné.

Dans la réalité, c’est beaucoup moins clair. Le conflit ici est évidemment politique – on aura compris que les membres de la CUAE ne sont pas positionnés très à droite. Mais aussi générationnel, ancré dans une époque où désormais on juge une parole ressentie comme blessante plus grave qu’un acte de violence physique, non pas ressenti mais effectivement subi, auquel cependant on est prêt à trouver mille explications, qui sont autant d’excuses. C’est ainsi la troisième agression de ce genre qui a lieu en quelques mois au sein de l’Université de Genève.

La CUAE vend d’ailleurs la mèche en donnant sa définition de la liberté d’expression: «Elle est aussi et surtout la protection du droit à la contestation politique. En l’espèce, le droit d’individus à exprimer leur désaccord avec les idées nauséabondes de l’UDC». Sauf qu’entarter quelqu’un et lancer sur une assistance pacifique un liquide nauséabond, ce n’est pas de l’expression, c’est de l’action. L’action n’est pas la parole. Les grandes violences sont toujours muettes, si l’on admet que la vocifération non plus, ce n’est pas la parole.

On dira, ce n’est après tout qu’une tentative d’entartage. Quelque chose de plutôt rigolo, une façon, comme a pu le soutenir la CUAE, de «ridiculiser les idées d’extrême droite». C’est oublier que l’agression physique ridiculise rarement, et qu’elle aurait tendance au contraire à légitimer l’agressé.

Le fait qu’ici les agresseurs se soient présentés en nombre et masqués enlève également tout aspect plaisant à l’opération. Il y a le contexte ensuite: celui d’un débat. Et non pas, par exemple, d’une cérémonie ronflante rendant un hommage outré et sans nuance à quelque ponte surdimensionné, dans une atmosphère de vénération sociale boursoufflée, cadre dans lequel intervenait l’inventeur historique de l’entartage, le belge Noël Godin. Céline Amaudruz n’est ni Bernard-Henri Lévy, ni Jean-Luc Godard. De très loin.

On voit bien ici que les conditions du dégonflage de baudruche et de la bonne plaisanterie ne sont pas réunies. Que l’on est en présence d’une bête violence politique et idéologique. Perpétrée qui plus est dans le cadre d’une «joute oratoire» et au sein d’une université, lieu par excellence de l’échange d’idées. Mais peut-être le mot «oratoire» est-il trop compliqué pour certaines petites têtes.

A cet aune, l’entartage apparaît comme un aveux de faiblesse et d’incapacité. Il faut vraiment ne pas être sûr de ses convictions, et de ses capacités à les défendre, pour préférer la crème, même pâtissière, à l’argumentation raisonnée.