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La tentaculaire invasion des relations publiques

Du salon de coiffure de quartier aux grandes administrations, chacun se fait désormais représenter par des professionnels de la com. Une omniprésence qui témoigne d’un souci de préserver sa réputation en toute circonstance.

Même l’Eglise ou l’armée s’y sont mises. Et si des institutions aussi peu enclines à se faire représenter par des professionnels des relations publiques se sont dotées d’aréopages de communicants ces dernières années, c’est bien le signe d’une ascendance croissante des métiers de la communication. Chaque ville possède désormais son service, tout comme les administrations publiques, plus friandes que jamais de professionnels du genre. La raison de cette prolifération? L’importance toujours plus grande accordée à la notion de réputation et d’image. Au centre de cette stratégie, la maîtrise de l’information.

De grandes entreprises comme les nouveaux secteurs ont compris l’importance des médias, «face auxquels il ne faut pas être simplement réactif, mais s’engager dans une démarche proactive», analyse Sébastien Salerno, chargé d’enseignement en sociologie de la communication à l’Université de Genève.

Le nombre de postes dans le secteur des relations publiques a alors doublé en Suisse au cours de la dernière décennie, selon l’Office fédéral de la statistique. «Quand j’ai commencé, il y a une quinzaine d’années, je me sentais seule dans cette branche, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui», témoigne Anne-Marie Philippe, fondatrice d’AMP Communication, une agence de relations publiques qui emploie cinq personnes à Pully et à Daillens (VD). Cette professionnelle voit le reflet de notre époque dans le succès de son métier: «On vit dans une période où les relations humaines tiennent toujours plus le haut du pavé. Les entreprises ressentent ce besoin de relationnel.»

Une exigence que des sociétés manifestent en mandatant des cabinets extérieurs, mais aussi en renforçant leurs équipes internes. «Les structures des départements de communication se complexifient, relève Francesco Lurati, professeur de communication d’entreprise à l’Université de la Suisse italienne de Lugano. On retrouve désormais des sous-départements de communication au sein des autres départements. Il y a donc clairement une infiltration de la communication dans tous les rouages de l’entreprise.»

«Auparavant, les managers prenaient leurs décisions en fonction du facteur financier, des ressources humaines et du marché. Aujourd’hui, ils ont intégré à leur réflexion la question de leur impact dans la communauté», analyse le professeur tessinois. Une étude statistique de l’Université de Lugano montre ainsi que, dans 89% des cas, les mandats de communication sont accordés directement par le CEO et non plus seulement par le département marketing. C’est donc au sommet de la hiérarchie que l’on décide des orientations dans ce domaine jugé hautement sensible.

Les PR ne se contentent plus d’écrire des communiqués de presse et d’organiser des événements, ils animent aussi des blogs, agissent sur les réseaux sociaux, envoient des newsletters ou produisent des magazines d’entreprise. Assis à la droite des patrons, ils s’érigent en stratèges qui réfléchissent à la culture d’entreprise, à son identité et aux éventuels changements à effectuer en cas d’image écornée.

«Le cas des banques suisses est exemplaire, illustre Francesco Lurati. Jusqu’en 1992, elles étaient soutenues par toute la population; chacun rêvait d’y travailler un jour, elles étaient alors présentes sur l’ensemble du territoire, elles donnaient du crédit aux entreprises, elles soutenaient les collectivités locales, les enfants portaient des bonnets en laine du Credit Suisse. Avec la libéralisation du marché dans les années 90, un nouveau style managérial a fait son apparition. Les banques ont commencé à se retirer du territoire. Dans le même temps, leur réputation s’est érodée, jusqu’au point où, au début des années 2000, elles se sont retrouvées à nu. Le capitalisme bancaire est alors apparu inacceptable pour une large partie de la population. Depuis la crise de 2008, les banques tentent de reconstituer ce capital d’image, mais c’est un travail énorme qui ne peut pas se limiter à la diffusion de jolies brochures exhibant les Alpes suisses. Les services de communication doivent être les agents d’un véritable changement de business.»

Pour répondre à ces défis, l’économie fait appel à des profils toujours plus pointus. La multiplication dans les universités et les hautes écoles de masters consacrés à la communication témoigne de l’intérêt du public pour ces métiers à la mode, mais aussi des besoins en personnel hautement qualifié, capable de penser la communication comme un outil managérial. «Le métier s’est professionnalisé, observe Daniel Herrera, directeur romand de l’Institut suisse des relations publiques, à Lausanne (SPRI). On est loin de la situation qu’on connaissait il y a vingt ans, lorsque c’était l’assistante du directeur qui parlait aux médias. Aujourd’hui, les professionnels du secteur suivent des formations postgrades dans des instituts comme le nôtre ou à l’université.»

Ces profils de haute volée ne sont pas forcément ceux qui abreuvent les boîtes aux lettres des journalistes en communiqués insipides. Tandis que les communicants grimpent dans la hiérarchie des entreprises, les petites mains se multiplient également à l’autre bout de la branche.

Grâce aux outils électroniques, la communication est à portée de toutes les bourses. Nouveaux restaurants, salons de coiffure et autres petits commerces rivalisent pour décrocher un article. Ainsi, une masseuse fera appel à un ami qui sait bien tourner des phrases pour annoncer le lancement d’un nouveau soin. «Ce bruit de fond abîme notre réputation, estime Franc esco Lurati. Contrairement à un chirurgien du cerveau, qui ne peut pas bluffer, on peut s’improviser communicant. Mais envoyer des communiqués à tire-larigot, c’est clairement contreproductif.»

Les agences de relations publiques jurent qu’elles communiquent de manière plus parcimonieuse et ciblée. «On essaie de faire comprendre à nos clients qu’il est inutile de donner une information qui n’en vaut pas la peine. Sinon, on ôte tout sens aux relations publiques, on galvaude l’histoire et on se déjuge auprès des médias», déclare Anne-Marie Philippe.

La fondatrice d’AMP Communication estime pourtant que ses services peuvent être utiles à de petits commerçants: «Si quelqu’un lance une activité et qu’il a quelque chose de particulier à proposer, je peux lui donner un coup de pouce. J’ai organisé récemment un événement pour un restaurateur réputé des calanques de Marseille qui s’installe au Mont-sur-Lausanne. J’ai fait en sorte que le syndic et des journalistes gastronomiques se déplacent dans un décor original d’oliviers et de pétanque.» Un gain en image à pondérer avec les coûts d’une telle opération, sachant que cette professionnelle facture entre 5000 et 6000 francs l’organisation d’une simple conférence de presse.

Communiquer au lieu de se fier uniquement au bouche à oreille, c’est aussi faire évoluer un modèle d’affaires. «Par exemple, les prostituées qui ont commencé à faire de la publicité sur l’internet ont ciblé des clients d’un standing supérieur et leur métier a changé», constate Sébastien Salerno.

La profession de journaliste s’est, elle aussi, transformée ces dernières années. «Les médias ont vécu une crise inouïe. Les équipes ont été réduites de manière drastique. La charge de travail de ceux qui restent en poste a été décuplée. Du coup, ils sortent moins de leur rédaction», regrette Suryia Hill, directrice de l’agence genevoise Sparkle.

La situation implique une adaptation des PR, qui cherchent à créer des événements plus spectaculaires pour attirer les médias. «Le concept de conférence de presse est un peu dépassé, à moins d’une grosse actualité. Lorsque nous en avons organisé une à Londres pour la marque horlogère Ebel avec Thierry Henry et Gisele Bündchen à l’occasion de la signature d’un partenariat avec un club de foot, des centaines de journalistes ont accouru», se félicite Suryia Hill.

Pour décharger ces derniers, les attachés de presse tentent alors d’aplanir les difficultés. «Quand on coordonne une interview avec un CEO, on demande par exemple au journaliste de donner les questions à l’avance et on essaie de réduire le temps qu’il va passer sur la rédaction de l’article», poursuit la PR genevoise.

Prémâcher le travail des médias, toujours pour les séduire, consistent encore à planifier toutes les étapes d’un voyage, à venir les chercher en taxi, à les guider vers les bons interlocuteurs. Une méthode qui a ses aspects négatifs explique ce journaliste d’un magazine féminin romand. «Comme nous risquons de perdre toute initiative personnelle, il faut alors savoir émettre des réserves et demander des changements de programme.»

S’ils aiment se présenter comme des facilitateurs, les attachés de presse ont aussi un rôle de barrière, notamment en cas de crise. «J’ai conscience d’avoir freiné le travail des journalistes maintes fois, reconnaît Daniel Herrera. Nous sommes là pour contrôler l’information. C’est un jeu entre les médias et nous.»
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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo.