cialis online express

Roulette fédérale

La succession d’Alain Berset montre que, pour entrer au gouvernement dans le système suisse, mieux veut compter sur le ciel que sur soi-même.

Depuis des lustres, deux hommes attendaient leur heure. Elle aurait dû venir, elle venait, elle était là: il suffisait qu’Alain Berset démissionne. Mais, la chose faite, patatras, la porte du Conseil fédéral se referme aussitôt pour les socialistes Roger Nordmann et Daniel Jositsch, deux poids lourds pourtant du parlement, deux hommes taillés pour le job et à l’expérience longue comme les deux bras.

Tels sont les aléas de l’élection au Conseil fédéral: vous pouvez dresser tous les plans de carrière que vous voulez, élaborer toutes les plus fines ou retorses stratégies, prouver cent fois que vous avez les compétences et la carrure, à la fin c’est toujours au jeu de la roulette que vous êtes contraint de jouer. Obligé de compter sur un miraculeux et improbable alignement de planètes forcément capricieuses.

Prenez Nordmann. Le Lausannois aurait tout pour plaire comme candidat: élu au Conseil national depuis…2004, chef du groupe socialiste sous la coupole de 2015 à 2023, il connait les rouages fédéraux comme sa poche, et a fait maintes fois la preuve d’un réel sens du compromis et du dialogue. Enfin, il maîtrise le suisse-allemand, écueil sur lequel tant d’ambitions romandes sont déjà venues se fracasser. Pour ne rien gâter, il en meurt d’envie, ce qui est aussi un vrai atout quand on brigue la fonction suprême.

Mais voilà: le ciel – les fameuses planètes – est tombé sur la tête de Roger Nordmann l’an dernier avec l’élection surprise de sa camarade de parti Elisabeth Baume-Schneider. Élection qui a donné une majorité latine au Conseil fédéral. Une anomalie que les Chambres, massivement germanophones, entendront sans nul doute corriger le 13 décembre.

Comme, en plus, le PS lui-même ne souhaite pas, pour des raisons plus ou moins stratégiques, continuer à être trop longtemps représenté au Conseil fédéral par deux élus romands, les chances de Roger Nordmann non seulement d’accéder au graal suprême, mais déjà de figurer sur le ticket officiel, sont à peu près nulles.

L’homme en est donc réduit à bricoler des arguments à la limite du raisonnable, comme de mettre en cause la notion même de latinité, soutenant que les Tessinois sont plus proches, dans la vie réelle, de la majorité alémanique que de cousins romands.

Le cas du zurichois Daniel Jositsch, politicien lui aussi d’envergure, lui aussi doté d’une grande expérience, lui aussi connu dans tout le pays, et lui aussi ayant les compétences, est toutefois un peu différent. C’est moins aux planètes qu’à lui-même qu’il doit son peu de chance de conquérir le Conseil fédéral.

D’abord il n’a jamais été en odeur de sainteté au sein de son propre parti. Si le temps est loin où les sociaux-démocrates étaient traités de vipères lubriques par les camarades plus à gauche, être positionné clairement à l’aile droite du parti vous fait beaucoup d’ennemis.

Enfin, Daniel Jositsch a commis, lors de la succession Sommaruga, le crime suprême: maintenir sa candidature alors que le parti avait décrété que seules des femmes pouvaient se présenter. Le conseiller aux États s’est attiré ainsi de solides inimitiés et de toutes aussi solides volées de bois vert à l’intérieur de son propre camp. Genre: «Daniel Jositsch s’est montré infâme et incorrect de sorte qu’il fait peur même à droite.»

Résultat: les deux seuls candidats dont on soit sûr qu’ils aient bien les épaules se retrouvent très largement en queue du peloton des prétendants, derrière le grison Jon Pult, vice-président du parti, et surtout les deux favoris, le conseiller national bernois Matthias Aebischer et le conseiller d’État bâlois Beat Jans.

Mais la roulette restant la roulette, et la très outsider Elisabeth Baume-Schneider ayant bien été élue contre les pronostics, tout ce que l’on vient d’écrire se révèlera peut-être, le 13 décembre, faux de la première à la dernière ligne.