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Adèle ou l’écologie joyeuse

L’accession d’Adèle Thorens à la co-présidence des Verts suisses pourrait marquer un intéressant virage pragmatique. Reste à savoir de quel poids la vaudoise pèsera face à des alémaniques par tradition plus radicaux.

Elle n’est peut-être qu’une moitié de présidente, puisqu’elle partage cet honneur avec la bernoise Regula Rytz: n’empêche, le ton risque de changer du tout au tout avec l’accession de la vaudoise Adèle Thorens à la tête du parti écologiste suisse. Un sérieux réchauffement d’atmosphère devrait remplacer l’ère glaciale du très sourcilleux et cassant Ueli Leuenberger, pas surnommé Ueli le climatique pour des prunes.

Déjà, se portraiturer soi-même en «philosophe joyeuse», c’est vouloir marquer d’entrée une saine différence avec un milieu politique d’ordinaire si peu philosophe et encore moins joyeux. Ensuite, vouloir casser les clichés «qui font de l’écologie une vision austère et punitive», voilà un ordre de marche qui appuie exactement là où ça fait mal. Sur ce côté police des moeurs et des cœurs qui a valu aux Verts lors des dernières élections fédérales une rouste mémorable.

On peut même penser que cette volonté d’une écologie moins rabat-joie, plus aimable, et pour tout dire plus humaine, pourrait avoir quelque chance de se traduire dans les faits. Jusque ici Adèle Thorens s’est montrée notoirement moins sectaire, plus ouverte au dialogue et aux compromis raisonnables que bon nombre de ses collègues de parti. Mais aussi par exemple que son homologue des Verts Libéraux vaudois Isabelle Chevalley. Alors que la logique politique, le positionnement et les manières habituelles de faire de ces deux partis, auraient fait présumer que ce soit plutôt l’inverse.

Ni de droite ni de gauche et partisane affirmée, comme le voudraient les statuts souvent oubliés du parti vert, d’un dépassement de cet antique, ce stérile clivage. Ni de droite ni de gauche mais humaniste aussi et même libérale, Adèle, «dans le premier sens du terme». C’est-à-dire, suppose-t-on, à peu près le contraire de ce que ce mot peut signifier aujourd’hui, surtout quand on lui accole le vilain préfixe de «néo».

Certes il arrive quand même assez vite à Adèle Thorens de remouliner le vieux langage protestataire, de parler «autogestion», «décentralisation», «petites structures». Et de se montrer pourtant plus intéressante quand elle explique le devoir pour les Verts de concilier vision et pragmatisme et qu’elle prend à ce propos l’exemple du nucléaire.

Visionnaires, les Verts, effectivement, d’en avoir préconisé la sortie. Encore bravo. Sauf que maintenant s’impose le devoir de «proposer des solutions concrètes pour y arriver». Et de tancer à cet égard la politique trop molle d’une Doris Leuthard envers les énergies renouvelables, jouant de surcroît trop vite à son goût la carte des centrales à gaz, qui ne devraient être «qu’un dernier recours».

Bref, Adèle Thorens semble incarner à merveille cette nouvelle génération de dirigeants verts qu’évoque le quotidien le Temps, et qui n’est plus «celle des militants du social» mais celle des «universitaires de l’environnement maîtrisant les règles de l’économie de marché comme les techniques de communication». Au point de faire craindre à certains qu’il ne faudra plus trop compter sur les écologistes pour une défense vigoureuse et de principe d’éléments aussi exotiques que les acquis sociaux, les droits des minorités, des immigrés…

Ceux qui se veulent rassurants rétorqueront que pour cela, il y justement l’autre tête pensante, Regula Rytz, plus à gauche, venue du syndicalisme et du PS, plus étatique et plus en pointe sur les questions sociales que sur les casse-têtes purement environnementaux.

Mais c’est là justement qu’on pourrait être comme pris d’un doute: dans une double présidence romande et alémanique, de quel poids réel Adèle Thorens, et la ligne allégée qu’elle représente, pourront-ils bien peser face à un bulldozer suisse-allemand carburant d’ordinaire davantage au pétrole «fundi» qu’à l’eau claire du pragmatisme. Ce n’est pas un hasard si c’est du côté alémanique que la dissidence des verts libéraux s’est amorcée et a engrangé jusqu’ici ses principaux succès.

Un gros point d’interrogation donc qui se double de trois petits points de suspension: deux femmes dans une direction bicéphale, on pourrait facilement imaginer que ce soit une de trop…