GLOCAL

Les bienfaits du réchauffement climatique

La hausse des températures menace de nombreuses espèces au niveau mondial, mais pourrait favoriser la biodiversité en Suisse. Explications.

«Si on continue comme ça, on reprochera aux scientifiques dans cinquante ans d’avoir amplifié les problèmes!» Christian Körner, professeur à l’Institut botanique de l’Université de Bâle, s’irrite du catastrophisme avec lequel les médias traitent la question des effets du climat sur la biodiversité.

Suite au rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), on a pu souvent lire que 30% des espèces allaient disparaître — une mise en garde illustrée par des photos d’ours blancs dérivant sur la banquise. Or le rapport du GIEC est plus mesuré: «Pour environ 20 à 30% des espèces animales et végétales étudiées, le risque d’extinction serait sans doute accru si la température moyenne de la planète augmentait de 1,5 à 2 degrés.» «Cela ne veut pas dire qu’un tiers des espèces va forcément s’éteindre, souligne Christian Körner. Il ne faut d’ailleurs pas faire l’amalgame entre réchauffement et changement du climat. La simple hausse des températures a une incidence moindre sur la biodiversité que la plupart des autres composants du changement climatique, en particulier l’augmentation de la fréquence des évènements extrêmes tels que les sécheresses ou les inondations.»

Le spécialiste ne remet pas en cause les conclusions du GIEC, mais plutôt le fait que des scénarios établis à l’échelle mondiale soient directement appliqués à la Suisse. Car les changements climatiques pourraient bien avoir un effet plus marqué sur la biodiversité dans le monde qu’en Europe centrale, une région évidemment moins concernée par le relèvement du niveau de la mer et la désertification.

En Suisse, l’augmentation des températures — qui est plus rapide que dans le reste de l’hémisphère Nord — pourrait même aller de pair avec une biodiversité plus riche: les chercheurs observent que certaines espèces habituées aux climats plus chauds s’installent petit à petit en Suisse, se rajoutant à celles qui existent déjà.

Cette évolution est déjà frappante à certains endroits, notamment dans les forêts du Tessin. Originaire d’Asie du Sud-Est, le palmier-chanvre était depuis longtemps cultivé dans les jardins. «Il a aujourd’hui colonisé les forêts tessinoises depuis les années 1970, suite à une forte diminution du nombre de jours de gel en hiver», explique Pascal Vittoz du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne.

«En Valais, les forêts de plaine connaissent de rapides transformations, notamment avec la disparition progressive des pins sylvestres (qui ne supportent pas les sécheresses devenues plus fréquentes et sont devenus plus sensibles aux parasites) au profit des chênes pubescents. Ce changement se fait à une vitesse sans précédent», indique Martine Rebetez, la collaboratrice scientifique à l’Institut fédéral de recherches sur les forêts, la neige et le paysage (WSL).

Plus en hauteur, on observe également l’augmentation de la limite naturelle de la forêt. Le Monitoring de la biodiversité en Suisse a mesuré une remontée moyenne des plantes alpines de 13 m entre 2001 et 2007. Les sommets autour de 3000 m ont connu un enrichissement en espèces considérable, de 86% en moyenne. Le réchauffement a également pour conséquence un développement printanier plus précoce et des automnes plus longs. En Suisse, les cerisiers fleurissent 15 à 20 jours plus tôt qu’en 1951 et la période de végétation s’est prolongée de 2,7 jours par décennie depuis plus d’un demi-siècle.

«A priori, ces décalages ne menacent pas directement la survie d’espèces, souligne Pascal Vittoz. Par contre, ils peuvent remettre en question leurs relations: il faut parfois faire face à de nouveaux concurrents et il peut suffire d’un seul paramètre modifié pour qu’une espèce prenne le dessus sur ses voisines, alors qu’elles vivaient depuis des siècles en parfaite harmonie.»

Les chaînes alimentaires risquent également d’être perturbées: des oiseaux migrateurs ne retrouveront par exemple plus les chenilles dont ils se nourrissent en Suisse au printemps, car celles-ci auront connu leur pic quelques semaines plus tôt. Mais les espèces peuvent s’adapter: en se déplaçant et en colonisant de nouveaux territoires ou évoluant génétiquement. Ce que l’on ne sait pas, c’est lesquelles s’adapteront le mieux et comment.

Si un réchauffement de 2 degrés pourrait s’avérer favorable à la biodiversité en Suisse, cet enrichissement risque de n’être que passager, car certains nouveaux arrivés finiront par écarter les espèces d’origine. Les modèles climatiques prédisent pour les températures estivales d’ici à 2070 une hausse comprise entre 2,1 et 7 degrés dans les cas les plus extrêmes. Elle sera accompagnée d’une réduction de 8 à 40% des précipitations estivales ainsi que, probablement, d’une augmentation des pluies torrentielles et de la durée des sécheresses.

Au-delà de 2 degrés, des perturbations majeures pourraient intervenir dans les écosystèmes et des extinctions massives d’espèces ne sont pas exclues. «Mais tout cela est extrêmement complexe et nous pouvons difficilement prédire ce qui va se passer», note Pascal Vittoz.

«L’avenir de la biodiversité dépendra de la capacité de l’homme à minimiser les effets du changement climatique, mais pas seulement, avertit Christian Körner. La diversité dépend davantage d’autres facteurs comme l’exploitation à outrance des ressources naturelles ainsi que l’urbanisation et le morcellement du paysage. Ces deux derniers facteurs sont particulièrement menaçants en Suisse, en raison de lois laxistes sur la construction. Ils me préoccupent actuellement davantage que le climat.»
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.