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Prévoir le futur, un métier d’avenir

Les entreprises sont toujours plus nombreuses à utiliser les services d’observateurs de tendances ou de futurologues. Objectif: anticiper, avant la concurrence, l’évolution des modes de consommation.

«Dans l’industrie, les évolutions doivent être décelées le plus vite possible. Il ne s’agit pas d’être le plus gros, mais le plus rapide.» Détecteur de tendances à l’Ecole hôtelière de Lausanne, Stefan Fraenkel en est convaincu: anticiper le développement des habitudes de consommation représentera un enjeu concurrentiel majeur dans l’économie de demain.

Aujourd’hui déjà, quelque soit leur secteur d’activité, de plus en plus d’entreprises dans la finance, l’horlogerie, l’automobile ou l’alimentation recourent aux services de spécialistes chargés de les conseiller dans leurs orientations et leurs choix d’investissements.

«Nous essayons de refléter un moment, une mode, voire un phénomène en phase d’expansion», dit Stefan Fraenkel. Pour ce faire, une observation attentive et quotidienne des us et coutumes sociétales, mais aussi des analyses empiriques, des recherches de marché et une modélisation des retours d’expériences de la clientèle ou des employés s’avèrent indispensables.

A l’Ecole hôtelière de Lausanne, les résultats servent à l’enseignement des étudiants, notamment au travers d’un cours d’introduction à l’industrie de l’accueil. Certaines analyses se réalisent dans le cadre de mandats destinés à toutes les entreprises intéressées par le secteur de l’hôtellerie, de Siemens à Laurent-Perrier. Il peut s’agir de développer un business model pour un spa, élaborer un nouveau concept de restaurant d’entreprise ou fournir des renseignements sur les besoins des clients d’hôtels. Les tarifs s’élèvent à 10’000 francs par mandat, auxquels s’ajoutent des frais variables.

Dans les grandes firmes, ce travail s’effectue souvent au sein de départements d’analyses prospectives liés aux R&D. La banque Syz & Co évalue de son côté le Zeitgeist de manière plus informelle. Elle a élaboré un fonds ciblé sur les sociétés actives dans les nouvelles tendances, entièrement à partir d’observations personnelles et d’analyses de l’actualité: «Ce qui nous intéresse c’est de détecter des tendances sur le long terme, selon une méthode plus empirique que scientifique», relève le porte-parole Ricardo Payro.

Lancé l’année dernière, le fonds se base sur quelques grandes valeurs porteuses comme le mieux manger, le démocratisation des marques de luxe, le bien-être, le culte du corps, le sportwear, la chirurgie esthétique, le web 2.0, les énergies renouvelables ou l’émergence des classes moyennes dans les pays en développement, particulièrement dans les domaines des vacances et des loisirs. Toutefois, compte tenu des turbulences financières actuelles, l’établissement reconnaît que ce type de fonds à thème ne figure pas parmi les plus demandés.

Agences spécialisées

Beaucoup d’entreprises recourent directement à des agences spécialisées dans la détection de tendances, comme Nelly Rodi, à Paris. «L’important pour un observateur consiste avant tout à être transversal et attentif au changement, souligne son directeur Pierre-François Le Louët.

Les tendances se trouvent partout: dans la rue, l’art contemporain, le design, la musique, les comportements sociaux, les nouvelles technologies et l’innovation.» Selon lui, la capacité d’humer l’air du temps doit toutefois s’ancrer dans un véritable savoir-faire lié à un secteur.

Ce qui explique les profils à la fois variés et ciblés de la trentaine d’employés de l’agence. En fonction de leur background (stylisme, arts déco, design, philosophie, marketing ou sociologie), ils sont orientés dans des départements spécialisés par type d’industrie: «Nous ne faisons pas de la tendance pour faire de la tendance, commente Pierre-François Le Louët. Nos recommandations visent à être facilement applicables par les entreprises. Pour elles, l’avantage consiste à bénéficier d’un regard extérieur sur leur positionnement ou leur style.»

Les services proposés consistent à redéfinir des stratégies de distribution ou de communication, identifier un territoire dans le cadre du développement d’une marque ou établir des valeurs-clés et des codes esthétiques. Pour Samsung, l’agence identifie par exemple différents types de consommateurs, puis propose pour chacun d’entre eux des orientations en termes de couleurs, matières, design ou fonctionnalités.

Elle a aussi réalisé pour une grande marque de prêt-à-porter une large étude sur la symbolique des couleurs dans 4 grands pays asiatiques.

«Pour chaque pays, nous avons étudié la perception ancestrale des couleurs, leur signification et l’évolution de leur perception dans la société d’aujourd’hui, indique Julie Blaszczyk, chef de projet. Ce type d’étude permet aux équipes internes d’optimiser leur offre, tant au niveau des collections, que de la communication ou du packaging.»

Les principaux clients de la société, présente dans 22 pays, proviennent de la mode, de la beauté et de l’art de vivre. De nouveaux secteurs, comme l’informatique ou l’électroménager, font désormais eux aussi appel aux services du bureau: «Les tendances ne sont pas un domaine réservé au style mais des courants de fond qui touchent à l’humain, aux comportements sociaux, aux attentes des populations», résume Pierre-François Le Louët.

Prévisions à long terme

Aux Etats-Unis, un courant de pensée prospectif a pris une large ampleur ces dernières années. Enseignée dans la plupart des grandes facultés, la futurologie s’appuie sur l’étude de faits et de cycles antérieurs dans le but de prédire de manière scientifique le futur.

Pour ce faire, elle combine diverses disciplines telles que l’économie, l’histoire, la philosophie, la science politique ou la sociologie. «Cette filière n’est pas tout à fait comparable à notre métier, relève Pierre-François Le Louët. Nous ne cherchons pas à prédire le futur de matière mathématique: nous utilisons surtout la sensibilité, l’inspiration et la création en nous appuyant sur des constats de marketing et de sociologie.»

«Les formations américaines en futurologie sont excellentes, relève pour sa part Stefan Fraenkel, mais elles s’intéressent surtout à des évolutions sociales et politiques sur une échelle plus longue, de l’ordre de 20 ans. A l’autre extrême, dans l’informatique, les évolutions s’opèrent en quelques mois… Dans des marchés plus stables, tels que l’hôtellerie ou la restauration, les changements sont plus lents et s’étalent sur 4 ou 5 ans.»

Dès lors, les organismes qui recourent aux prévisions de futurologues se trouvent surtout dans le secteur des organisations internationales ou de l’Etat, voire des ONG.

Qu’en est-il de la Suisse? En matière de laboratoire de nouvelles tendances, il semblerait que le pays réunisse des conditions cadres idéales: «Avec sa multitude de cultures et de types de consommation, la Suisse offre un terreau des plus favorables pour la prédiction des évolutions du goût des consommateurs, relève Stefan Fraenkel. Elle dispose d’une valeur de marché test comme il en existe peu. Ce qui marche ici a de fortes chances de bien marcher ailleurs.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Bilan.