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Les drôles de réactions face au Kosovo nouveau

Entre la prudence de Sioux de la Suisse officielle et les rêves secrets de la population (les voir tous plier bagage), la joie des Kosovars installés ici n’est pas vraiment contagieuse.

«Une recommandation en faveur d’une reconnaissance prochaine.» Voilà, selon Christa Markwalder, la vice-présidente de la commission des affaires extérieures du Conseil national, la position que la Suisse devrait adopter à propos du Kosovo nouveau. On n’est pas plus prudent.

Face à cette indépendance autoproclamée, même l’UDC ne va sans doute que tempêter un peu, pour la forme et le spectacle, et chanter sur tous les tons les vertus sacrées de la neutralité.

La messe est en effet dite depuis longtemps: le département fédéral des Affaires étrangères et sa cheffe Micheline Calmy-Rey se sont engagés beaucoup trop loin en faveur de l’indépendance du Kosovo, et toute volte face du Conseil fédéral serait dès lors considérée à l’étranger comme une farce ou une forfaiture, selon les humeurs.

Pourtant les diplomates calment le jeu, rappellent que la cote de la Suisse à Pristina est déjà très élevée, qu’il n’est donc pas vraiment utile d’en faire des tonnes, et que ce serait prendre le risque de se fâcher avec la Serbie. Un pays qui reste, jusqu’à preuve du contraire, partenaire et allié.

D’ailleurs même les plus fervents partisans, ici, du Kosovo indépendant, comme les Verts, dont le vice président Ueli Leuenberger fut le fondateur de l’Université populaire albanaise (UPA) à Genève, prônent aussi de ne pas se précipiter: reconnaître trop vite et trop fort le nouvel état risquerait de faire apparaître la Suisse comme un caniche à la botte des Etats-Unis, principaux soutiens de Pristina.

Des Etats-Unis auxquels pour une fois la gauche suisse ne reproche pas d’avoir, sur ce coup, fait fi du droit international qui exclut toute proclamation unilatérale d’indépendance, toute amputation auto décrétée d’un territoire national, en l’occurrence celui de la Serbie. Passons, glissons.

On sent quand même, du côté de la droite nationaliste, voire xénophobe, et dans une opinion publique gavée à la presse de boulevard, comme un formidable espoir né de cette indépendance: que les 200’000 Kosovars de Suisse — un habitant sur 40 de ce pays — plient fissa bagages.

Et que les requérants de cette origine — les deuxièmes en nombre derrière les Erythréens l’an dernier — soient traités avec une sévérité et une vigilance accrue, comme le vitupère le «blog des Amis de l’UDC en Romandie»:

«Si le Kosovo est libre et indépendant, pourquoi alors ne pas supprimer toutes les autorisations d’asile accordées aux Kosovars ces dernières années?» Des gens, pensez-vous, qui «préfèrent gagner confortablement de l’argent ici plutôt que chez eux».

Espoirs murmurés qui risquent fort d’être déçus: l’Office fédéral des Migrations (ODM) a déjà fait savoir que rien ne devrait changer et que, d’ailleurs, actuellement déjà, la plupart des demandeurs kosovars se voyaient opposer une décision négative ou une non entrée en matière. Et puis, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) a déjà mis en garde contre un durcissement des pratiques administratives face aux Kosovars, expliquant que les structures étatiques de la nouvelle entité étaient encore trop balbutiantes pour assurer la sécurité de chacun.

Ueli Leuenberger, lui, va naturellement plus loin: il suggère, sans que l’on voie bien la relation de cause à effet, que la Suisse profite de la proclamation d’indépendance pour légaliser les Kosovars sans papier et ouvrir de manière plus étendue le marché du travail aux ressortissants du nouvel Etat.

Les Kosovars eux-mêmes, installés depuis plusieurs années en Suisse, ont déjà fait savoir, à juste titre, aux micros qui se sont tendus soudain, au milieu de la liesse, entre les klaxons de voiture et les drapeaux au vent, que personne en Suisse ne réclamait le départ des ressortissants d’origine italienne ou portugaise au prétexte qu’ils disposaient d’un pays démocratique et indépendant.

Certains invoquent plus crûment la peur des représailles serbes et la situation économique calamiteuse pour expliquer que, malgré l’euphorie et la fierté engendrées par la proclamation d’indépendance, le retour n’était pas pour demain. Et que la raison commandait de vivre entre les deux pays. En attendant mieux, dans un futur lointain et rêvé. Comme ce technicien dentiste kosovar installé dans le canton de Fribourg: «Si Dieu le veut, nous serons la Suisse des Balkans et j’ouvrirai mon cabinet de dentiste là-bas.»

Voilà les bouffeurs patentés de Kosovars prévenus: il ne leur reste plus qu’à attendre que la volonté divine se manifeste clairement.