KAPITAL

Des millions pour une nouvelle image

Les institutions publiques adorent changer de look à grands frais. Après la TSR et la Confédération, c’est au tour de la Radio suisse romande de s’offrir un nouveau logo.

Cela commence à ressembler à une épidémie. La logomanie qui s’est emparée des instances publiques continue de se propager: après la TSR début janvier, la RSR et le canton de Vaud viennent de se doter d’une nouvelle identité visuelle. La Confédération, l’Université de Lausanne ou la Ville de Genève sont aussi passées par là récemment. Ces opérations de «relooking» font grincer des dents au moment où l’on parle de restrictions budgétaires et de suppressions de postes. Un changement de logo coûte en effet entre 200’000 et 1 million de francs – la palme revenant à la Confédération, qui a dépensé 25 millions pour son nouvel habillage.

La TSR a déboursé environ 1 million pour changer d’identité visuelle, ce qui correspond tout de même aux factures de la redevance Billag pour une famille suisse pendant 3’553 ans… Etait-ce vraiment indispensable? Filippo Lombardi, conseiller aux Etats PDC et président de Tele Ticino, reconnaît que la chaîne romande se doit de changer de logo à échéances régulières, «mais le précédent datait de 1997, c’est un peu court pour déjà en adopter un nouveau».

Journaliste de formation, Filippo Lombardi estime que «les choses se passeraient autrement s’il s’agissait d’une chaîne privée». Manon Romerio, porte-parole de la TSR, se défend: «Si l’on compare avec ce qu’a coûté le nouveau logo du Credit Suisse (100 millions, ndlr), nos dépenses restent modestes. Et il ne faut pas oublier que, contrairement à la RSR par exemple, nous devons décliner notre identité sous différentes formes à l’antenne.»

A la RSR, justement, le nouvel habillage a coûté quelque 500’000 francs. «On va rentabiliser le nouveau logo sur dix ans. Cela ne fait plus que 50’000 francs par an», justifie Blaise Duc, chargé de communication. Il reconnaît toutefois la difficulté d’expliquer une telle dépense à des collaborateurs soumis à des plans de restructuration.

Que dire alors des 25 millions consacrés par la Confédération à sa nouvelle identité visuelle? Sur cette somme, seuls neuf millions reflètent les coûts externes, répond Norbert Löhrer, responsable du changement visuel de la Confédération. Le reste correspond à des dépenses internes. Mais lorsque l’on sait que le logo adopté à l’issue d’un grand concours national ressemble presque trait pour trait à la rapide esquisse effectuée par un fonctionnaire pour illustrer l’appel d’offres, il y a de quoi se poser des questions. «Seize millions de coûts internes, c’est énorme. Cela représente un régiment d’employés fédéraux!» s’exclame Filippo Lombardi. Il se demande, non sans ironie, si l’on a engagé 160 personnes pendant un an ou 16 pendant dix ans.

La Ville de Genève, qui s’est délestée de 200’000 francs pour son changement d’image, renvoie aux 5 millions déboursés par la Ville de Québec pour une opération similaire. D’aucuns rappellent qu’on est loin des 100 millions dépensés par Swissair pour devenir Swiss.

Mais d’où vient-elle, au juste, cette propension à changer de logo comme l’on change de chemise? De part et d’autre, on justifie cette mue sytlistique par le besoin de se distancier des excès des années 90, lorsque les administrations publiques cherchaient à transformer leurs services en entreprises, dotées chacune de son propre logo. C’était l’ère du branding et du new public management. Dix ans après, elles prennent le chemin inverse. Auprès de la Confédération, les quelque septante logos adoptés ces vingt dernières années par les différents offices vont disparaître au profit d’un symbole unique qui reprend les armoiries fédérales. «Les citoyens ne savaient plus s’ils avaient affaire à une administration publique ou à une société privée», relève Norbert Löhrer.

Mais ces retouches esthétiques «cachent un changement plus fondamental», pense Pedro Simko, spécialiste de la communication. Selon lui, les administrations publiques ou parapubliques, malmenées par les plans d’économies et les attaques du secteur privé contre un Etat trop intrusif, cherchent à se ressouder et à se revaloriser en adoptant une nouvelle identité visuelle. Un raisonnement top-down que les employés ne saisissent pas toujours. La Confédération a ainsi dû renoncer à renommer les départements de Moritz Leuenberger et de Samuel Schmid en Département des infrastructures et Département de la défense, faute de «volonté suffisante de la part des principaux intéressés», dit Norbert Löhrer.

L’Université de Lausanne, qui a présenté son nouveau concept visuel l’automne dernier, a également fait les frais de son audace. La signalétique et les noms donnés aux bâtiments (Humense, Cubotron, Batochimie ou Génopode entre autres) n’ont pour l’heure suscité que sarcasmes et lettres indignées de la part des professeurs. Quant à la Ville de Lausanne, qui s’est dotée d’un logo ultramoderne, «elle continue d’imprimer son sceau, vieux de plusieurs siècles, sur les bouteilles de vin de la commune», rappelle François Rappo, responsable de la section design à la Haute Ecole d’arts appliqués (Ecal) de Lausanne. Il y voit la preuve que les administrations font fausse route. «Ces instances confondent le symbole et le message. On ne peut pas résoudre tous ses problèmes de communication avec un logo.»

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 6 avril 2006.