Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes podium, klaxon et bifurcation.
Podium
Durant les Jeux olympiques, le mot «podium» sera très utilisé. Il se déclinera sous de nombreuses formes: décrocher un podium, être sur le podium, faire podium, figurer sur le podium, grimper ou monter sur le podium – soit se classer dans les trois premiers d’une épreuve ou compétition sportive. C’est à l’aune du podium que sont jugés les athlètes: ils montent sur le podium, ne sont pas sur le podium ou, catastrophe, restent au pied du podium.
Avant de devenir l’estrade à trois places sur laquelle on fait monter les vainqueurs d’une compétition sportive, le «podium» désignait le mur qui entourait l’arène dans un amphithéâtre romain. Son sommet supportait les places destinées à l’empereur, aux magistrats et aux vestales.
Combien d’athlètes suisses monteront sur le podium pour y recevoir une des 5084 médailles décernées? Si les paris sont ouverts, le plus décalé des podiums est déjà connu. On peut l’admirer à Paris, dans la cour du Musée de la chasse, qui abrite l’exposition «1,2…4 podium!» de Plonk&Replonk-Bébert. Un hommage bien mérité à la quatrième place!
Klaxon
«Les claquesons hurlaient de plus en plus fort, un vrai orage.» Détrompez-vous, il ne s’agit pas de la description de l’ambiance après un récent match de foot mais un passage tiré de «Zazie dans le métro», publié il y a soixante-cinq ans. Raymond Queneau y use de cette altération phonétique humoristique, malheureusement pas retenue, pour qualifier les klaxons.
Jusqu’au 14 juillet, soirée de la finale de l’Euro 2024, le recours à ces dispositifs sonores pour célébrer une victoire va opposer partisans et adversaires. La majorité des uns et des autres ignorent l’origine de ce terme. Peu de conducteurs savent que, comme Frigo ou Jacuzzi, Klaxon compte parmi les noms propres devenus des noms communs et devrait s’écrire avec une majuscule. C’est en 1908 que l’entreprise Klaxon a commercialisé un avertisseur mis au point par l’Américain Mille Reese Hutchinson qui le nomma «klaxon», du grec «klazein», pousser un cri, retentir bruyamment.
Pendant cet Euro, klaxonner soixante minutes après le coup de sifflet final est autorisé «pour autant que cela ne perturbe pas exagérément la circulation et l’ordre public». Que chacun apprécie à sa guise ce privilège rare!
Bifurcation
Transition cesse progressivement d’être le terme usuel dans les débats sur l’écologie. Subrepticement, ce concept par trop flou est remplacé par celui, de «bifurcation», davantage évocateur de changement d’orientation. Un terme entré dans le vocabulaire politique en avril 2022, lorsque des étudiants d’AgroParisTech ont pris à partie leurs camarades lors d’une cérémonie de remise des diplômes: «À vous de trouver vos manières de bifurquer!» Ils accusaient l’inaction collective face à la crise environnementale et renonçaient aux carrières qui leur étaient promises.
Depuis, bifurquer et bifurcation sont entrés dans le vocabulaire à l’heure d’envisager des mutations indispensables, non seulement écologiques mais politiques et économiques. Ainsi, dans «Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique», les auteurs Cédric Durand et Razmig Keucheyan proposent une bifurcation radicale pour aligner l’économie sur les limites planétaires. Le terme bifurcation, l’abandon d’une voie pour en suivre une autre, a leur préférence, plutôt que celui de transition qui a tendance à escamoter la nature des mesures à prendre.
Un point de vue que l’on retrouve dans «Sans transition» (Seuil, 2024). L’historien français Jean-Baptiste Fressoz met en garde: «Des solutions très complexes dans le futur empêchent de faire des choses simples maintenant. La puissance de séduction de la transition est immense: nous avons besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente.»