LATITUDES

«Le réchauffement climatique est la plus grande menace pour la santé. Tout le reste est futile.»

Selon Christopher Richard, militant et médecin, seule une médecine plus durable peut assurer le bien-être de la population.

À quel moment avez-vous ressenti l’urgence d’agir pour l’environnement ?

Christopher Richard: Au début de mon parcours, j’étais particulièrement serein. J’étais convaincu que mon métier avait un sens inébranlable, puisqu’il est scientifique et social. Ma première remise en question a émergé il y a une dizaine d’années lorsque je travaillais aux soins intensifs en Angleterre. Je me suis rendu compte que la majorité des maladies critiques de nos patient·e·s étaient la conséquence d’un problème psychosocial. Et lorsqu’en 2019, un groupe de médecins anglais s’est rattaché au mouvement d’Extinction Rebellion, manifestant leur devoir d’alerter la population quant aux impacts du changement climatique sur la santé, je me suis reconnu dans cette démarche.

Quelle forme cette revendication a-t-elle prise ?

Je ne suis pas allé me coller les mains sur la route, mais j’ai fondé un collectif à Neuchâtel. L’idée était de rassembler des personnes pour imaginer à quoi pourrait ressembler une médecine durable. Car l’enjeu est là : en Suisse, le système de santé génère au moins autant d’émissions de gaz à effet de serre que l’aviation civile. En soignant, nous participons donc largement au problème, et notre métier perd son sens initial qui est d’œuvrer pour le bien-être de la population. Pourtant, les gens sont largement sous-informés. Ce que nous revendiquons à travers le mouvement des professionnel·le·s de la santé en faveur d’Extinction Rebellion (Doctors for XR), c’est d’abord que le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité soient traités comme des problèmes de santé publique majeurs. Le réchauffement climatique est la plus grande menace pour la santé, tout le reste est futile et il est urgent d’en prendre acte.

Où faut-il agir en priorité pour rendre la médecine plus durable ?

Lorsqu’on parle d’une pratique plus compatible avec le vivant, on ne parle pas de l’impact des gants en plastique sur l’environnement. C’est la façon d’exercer ce métier qu’il faut remettre en question et notre manière d’envisager la santé. Selon l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), les déterminants de la santé, c’est à-dire ce qui fait que la population se sent bien, sont principalement dépendants de l’équilibre psycho-social. C’est décourageant de voir qu’autant d’énergie et d’argent sont consacrés au curatif et aux technologies, alors que c’est sur le soin qu’il faudrait davantage se concentrer. Autrement dit, porter plus d’attention à la prévention et à la manière de faire société. Investir dans le vivre-ensemble, l’alimentation, la mobilité douce et la santé mentale. Des projets comme les maisons de santé pensées comme des lieux vivants et communautaires sont particulièrement prometteurs à cet égard.

Faire face au changement climatique a donc directement à voir avec le lien ?

Oui et c’est un aspect qui s’est confirmé durant la crise du Covid-19, qui a fortement atteint le métier. La pandémie a notamment donné lieu à d’importantes remises en question. Les jeunes médecins et les personnels infirmiers sont nombreux à exprimer une perte de sens de leur pratique. L’obligation d’efficacité dans le contexte hospitalier met à mal le lien thérapeutique pourtant capital. Le temps pour la compassion et l’écoute manque, alors qu’il est nécessaire. Pour une population en meilleure santé, il faut agir sur les liens sociaux. Des familles isolées qui se morfondent dans le burn-out : cela ne peut pas constituer une société en bonne santé, résiliente face aux impacts du changement climatique.

Comment concilier militantisme et travail au sein de l’institution ?

Mon chef partage mes idées et m’accorde même du temps. J’ai donc pu monter un groupe sur la durabilité des soins. C’est plutôt au niveau de la direction, et plus généralement la gouvernance du système de santé, que c’est compliqué. Nous n’avons pas de ressources financières pour ces activités, car les décisions sont prises par le conseil d’administration qui suit les voix des politiques. Et malgré toute l’évidence scientifique sur laquelle repose l’urgence climatique, les lois ne changent toujours pas et nos émissions carbone ne font que croître.

Que faudrait-il changer en priorité au niveau politique ?

Il n’est pas possible de continuer avec un système de santé gouverné par les assurances maladie et les pharmas, et des élu·e·s qui pensent uniquement sur le court terme. Il faut que la population soit davantage impliquée et qu’elle participe activement à redéfinir ce qu’est la santé à travers la mise en place d’assemblées citoyennes formulant des actions concrètes. Financièrement, il faut trouver une manière de valoriser de façon significative la transition écologique et sociale.

Qu’est-ce qui pourrait redéfinir la santé, par exemple ?

Le rapport que nous entretenons avec la finitude. Le but actuel des systèmes de santé est de prolonger la vie. La mort est devenue quelque chose de totalement tabou et médicalisé. Il faudrait se questionner sur la pertinence de consacrer des ressources gigantesques pour les derniers jours de vie d’une personne. Il faudrait opérer un véritable changement culturel autour du rapport à la santé. Réfléchir à la santé comme à un mode de vie, intégrer les notions de pratiques spirituelles et de santé, favoriser le bien vivre plutôt que le vivre longtemps.

De nombreuses personnes se sentent impuissantes face au changement climatique. Comment faire pour passer à l’action ?

Ressentir de la culpabilité et de l’impuissance, c’est un bon signe. Ça veut dire qu’on a constaté le problème. C’est la première étape d’un changement intérieur. Et cette transition a bien plus d’importance que de s’acheter une brosse à dents en bambou. Pour apaiser mon sentiment d’impuissance, j’ai suivi des ateliers créés par Joanna Macy, une des fondatrices de l’écopsychologie. J’ai compris qu’il faut activer les leviers qui sont à notre disposition et que le changement s’exprime d’abord à travers notre manière d’être en lien avec le vivant et de trouver comment en prendre soin. Pour agir collectivement, la peur ne peut pas fonctionner comme moteur. Il est préférable, au contraire, de montrer aux gens là où on aimerait aller ensemble, puis espérer que le plus grand nombre suive. /

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Biographie

Christopher Richard est médecin chef adjoint au Département des urgences et membre du cercle pour des soins durables du Réseau hospitalier de Neuchâtel. Il est membre des Doctors pour Extinction Rebellion Neuchâtel (DR4XR) et anime des ateliers dans la nature pour le personnel soignant pour faciliter la transition du système de santé.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 28).

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