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Médecine et durabilité : le défi du siècle (2e partie)

En soignant la population, le système de santé pollue énormément. Face à l’ampleur de la crise climatique, la médecine doit ajuster ses pratiques pour devenir plus durable.

Dossier réalisé avec Carole Berset et Andrée-Marie Dussault

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Retrouvez la première partie du dossier cialis price toronto.

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4 – Prescrire différemment

Restreindre l’usage excessif des traitements en milieu hospitalier. C’est l’un des objectifs que Marie Méan, médecin adjointe au CHUV et privat-docent à la Faculté de biologie et médecine à l’UNIL, poursuit dans le cadre de ses recherches et dans sa pratique quotidienne. « Pour éviter qu’un·e patient·e·s reçoive des traitements qui ne sont pas nécessaires, il est fondamental de prescrire de manière rationnelle, selon les recommandations d’usage et de procéder régulièrement à une revue des médicaments pour en dé-prescrire certains, en accord avec les patient·e·s et leur médecin traitant. »

Prescrire pour une durée adéquate et limitée est également important. « Prenons l’exemple des antibiotiques donnés pour lutter contre une infection ; il faut viser la durée la plus courte possible, tout en s’assurant que le ou la patient·e respecte la durée prescrite », indique-telle. La recherche montre que limiter la durée de prescription des antibiotiques réduit les effets secondaires, la résistance et la contamination médicamenteuse de l’environnement. « En cas de pneumonie, qui est un motif fréquent d’hospitalisation, une prescription d’antibiotiques de cinq jours est le plus souvent efficace, et parfois même trois jours suffisent. »

À la sortie de l’hôpital, la personne hospitalisée pour un problème aigu reçoit un emballage complet du traitement prescrit plutôt que le nombre exact de comprimés nécessaires. « Des médicaments se retrouvent dans les déchetteries, dans les pharmacies, ou pire, sont jetés dans les WC. Il s’agit d’un gaspillage évitable, d’autant plus dans un contexte de pénurie pour certains médicaments. »

Une prescription peut donc être évitée, écourtée, supprimée, et aussi remplacée, soutient Marie Méan. Un traitement chronique peut parfois être évité en modifiant le mode de vie. Par exemple en optant pour une alimentation plus saine comprenant moins de protéines animales, moins de sucre, mais aussi en faisant plus d’exercice physique. « Stimuler les patient·e·s à sortir de leur lit d’hôpital plusieurs fois par jour contribue à prévenir les thromboses, on évite ainsi de leur donner un traitement pharmacologique. La mobilité a aussi toute une série d’effets positifs ; elle réduit la dépression, favorise le sommeil et accélère le retour à la maison. » Par ailleurs, des traitements à base de plantes peuvent aussi être proposés. « C’est d’ailleurs ce que nous utilisons pour les problèmes d’insomnie à l’hôpital. Mais pour pouvoir prescrire de manière encore plus durable, il faudrait que l’industrie pharmaceutique publie des données sur l’impact écologique des médicaments, de la recherche à la fabrication en comptant aussi la distribution et le marketing. »

5 – Repenser les soins

Gros pollueur, le système de santé n’est pas soutenable à long terme ; ni pour l’environnement, ni financièrement. Comment l’hôpital peut-il revisiter son modus operandi pour être plus durable ? « Le but est de transformer l’hôpital pour qu’il soit durable », avance le médecin-chef du Département de médecine de famille à Unisanté, Nicolas Senn, également professeur de médecine de famille à l’UNIL. Pour rendre ses pratiques plus éco-compatibles, l’hôpital peut d’abord faire un bilan carbone afin d’identifier les sources d’émissions et où elles peuvent être réduites, voire supprimées.

Les bâtiments consomment beaucoup d’énergie. Pour réduire leur empreinte carbone, une approche d’éco-conception et de green labs doit être promue. Ces derniers permettent de minimiser l’utilisation de l’énergie, de l’eau et des matériaux, tout en améliorant l’efficacité des processus. Tandis que l’éco-conception veillera notamment à l’optimisation et à la réduction du chauffage et l’isolation des bâtiments.

Au quotidien, le personnel hospitalier doit trier les déchets et réduire le gaspillage. Diminuer les actes médicaux inutiles est aussi un levier important. Notamment les scanners et les IRM qui sont de grandes sources de pollution atmosphérique, et sont prescrits de façon excessive. « On estime qu’entre 20 et 40% des examens réalisés n’apportent pas de bénéfice aux patients. » En chirurgie, une approche « verte » doit être adoptée ; en utilisant le plus possible du matériel non jetable, provenant de filières certifiées et qui peut être réutilisé, tout en ayant recours aux gaz anesthésiants les moins nocifs pour l’environnement.

Favoriser le déploiement d’interventions qui ont des cobénéfices est aussi fondamental. Beaucoup d’émissions de CO₂ liées à l’hôpital proviennent du transport des patient·e·s et du personnel. « Promouvoir une mobilité douce engendre des cobénéfices ; celle-ci entraîne des bienfaits tant pour la santé des patient·e·s que pour l’environnement. Même chose en ce qui concerne l’alimentation ; un régime avec moins de produits d’origine animale comporte des avantages pour les deux domaines. »

Actuellement, les systèmes de santé suisses sont principalement centrés sur des prestations curatives de nature biomédicale. Pour aller dans le sens d’une médecine plus durable, il faudrait les faire évoluer vers des activités préventives, comme le préconise la feuille de route de l’Académie suisse des sciences médicales (« Pour des services de santé durables dans les limites de la planète », 2022). Enfin, l’allocation des soins peut également être rationalisée grâce à la télémédecine, à l’e-health et au regroupement des hôpitaux afin d’améliorer la coordination des soins.

6 – Défis futurs

« Dès les années 2000, dans le cadre de mon activité de spécialiste de médecine tropicale en Afrique, j’ai pu constater que les phénomènes climatiques évoluaient rapidement, témoigne Valérie D’Acremont. J’ai compris que j’étais en train d’assister à ce qui nous attendait dans le futur, en Europe. Soit la diminution des rendements agricoles, la désertification et, donc, les problèmes de nourriture. » Et si, pour l’instant, l’accès aux aliments est encore garanti dans la majorité des régions en Europe, d’autres problématiques apparaissent.

En lien avec les bouleversements climatiques, des insectes exotiques survivent en Suisse et transmettent parfois des maladies tropicales. « Le problème, c’est qu’actuellement, lorsqu’on se fait piquer par un moustique, on ne s’imagine pas que ça pourrait être problématique. Et les médecins, lorsqu’ils reçoivent des personnes fiévreuses, penseront d’abord qu’il s’agit d’une grippe, alors qu’en réalité ça pourrait être une nouvelle maladie qui vient d’arriver en Suisse. »

Une autre conséquence majeure de l’évolution de la situation climatique est la migration des populations, forcées de quitter des régions qui deviennent invivables. Cependant, l’inexistence actuelle de la reconnaissance du statut de réfugié climatique empêche l’accès aux soins. Une problématique qui préoccupe particulièrement Patrick Bodenmann, chef du Département Vulnérabilités et médecine sociale d’Unisanté, qui cherche à étendre la prise en charge pour qu’elle réponde aussi aux besoins des personnes marginalisées dans le cadre de migrations forcées par les changements climatiques. « L’équité en santé, appliquée à la médecine, ne vise pas une prise en charge homogène, mais des soins qui s’adaptent aux besoins spécifiques de chaque patient·e en intégrant les déterminants socio-économiques de la santé, leurs vulnérabilités et leur potentiel de résilience. » En plus d’une inégalité en termes d’accès aux soins, les impacts du changement climatique apportent un déséquilibre mondial important. Le fardeau sanitaire de la crise climatique est largement plus important pour les pays plus pauvres qui ont pourtant nettement moins participé au problème.

Les facteurs majeurs qui aggravent la situation et sur lesquels il faut donc agir le plus rapidement possible sont la déforestation, l’élevage intensif des animaux et la frénésie des voyages en avion, selon Valérie D’Acremont. « Au niveau du système de santé, il faut arrêter avec le fonctionnement hospitalo-centré et il faut renforcer la prévention et les soins communautaires. L’hôpital a tout à y gagner. »

Face à l’objectif d’une transition vers un monde plus durable, la santé peut jouer un rôle central pour augmenter la préoccupation des populations pour le changement climatique, écrit Anneliese Depoux, spécialisée dans les enjeux de médiatisation des crises sanitaires dans sa participation à l’ouvrage Santé et environnement. Une perspective partagée par François Gemenne, directeur de l’Observatoire Hugo en Belgique, dédié aux migrations environnementales, qui signe la préface du même ouvrage. « La santé, parce qu’elle touche au plus intime de nous-mêmes, à notre intérêt premier peut aussi être un formidable levier pour agir pour la préservation de l’environnement. » Les systèmes de santé qui génèrent énormément de pollution en soignant des personnes souvent malades à cause de l’état de l’environnement jouent donc aussi un rôle majeur dans l’orientation des comportements des populations. Finalement, cette dynamique confirme qu’il est impossible de penser les urgences environnementale et sanitaire comme deux choses distinctes pour créer un futur plus durable.

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Une IRM à consommation réduite

L’Imagerie par résonance magnétique (IRM) classique possède un champ magnétique entre 1,5 et 7 tesla (T ; unité pour mesurer l’intensité d’un champ magnétique), tandis que celui des récentes IRM à bas champ varie entre 0.1 et 0,55 T, explique Alban Denys, chef du Département Service de radiodiagnostic et radiologie au CHUV. « L’IRM à bas champ requiert moins d’hélium, un gaz rare et limité sur Terre, consomme moins d’électricité, est plus légère et son installation nécessite moins d’espace. »

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Limiter la prolifération du moustique tigre

L’espèce envahissante profite du réchauffement climatique pour s’installer en Suisse. Des mesures permettent de limiter l’expansion de cet insecte potentiellement porteur de maladies.

  • Ne pas laisser de petits volumes d’eau non couverts traîner sur la terrasse ou le balcon.
  • Consulter un·e médecin en cas de symptômes fiévreux lors d’un retour de voyage.
  • Signaler tout moustique actif sur la plateforme nationale moustiques-suisses.ch

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 28).

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