CULTURE

À la découverte du patrimoine lausannois

Quelque 20 bâtiments de la ville décrochent la note maximale de 1 au patrimoine vaudois. Tous ne sont pas très connus, mais tous valent le détour. Notre balade relie six des plus beaux d’entre eux, dégageant au passage une étonnante cohérence et quelques savoureuses anecdotes.

«Ce n’est pas le temps qui passe, c’est nous», écrivait le facteur Cheval. La citation de cette figure de l’art brut nous revient en tête alors que nous partons à la découverte des monuments historiques lausannois classés 1 au patrimoine cantonal, au même titre que la Cathédrale ou les Escaliers du Marché, mais pourtant bien moins connus ou visités qu’eux.

Pour cela, nous partons des hauts de Lausanne, au Domaine de Rovéréaz sur la route d’Oron, là où la campagne s’apprête à faire place à la ville. Face à une exploitation de 27 hectares prônant une agriculture maraîchère biologique de proximité avec son magasin ouvert au public (lire aussi en page 9), on trouve une belle maison de maître. C’est elle qui est classée 1, la note maximale – sur 7 – qui indique que l’élément concerné a des qualités architecturales et / ou historiques, une authenticité, une intégration au site, un caractère rare et représentatif d’une époque, d’un style ou d’un mouvement. «Le domaine qui entoure cette maison date du XVe siècle au moins, explique Sylvie Costa, conservatrice au Musée Historique Lausanne. Aux XVIe et XVIIe  siècles, les familles patriciennes lausannoises richissimes vivaient dans leur domaine l’été. On y trouvait en général une ferme et des fermiers qui cultivaient leurs récoltes, comme à Rovéréaz, voire dans d’autres cas des vignerons produisant du vin vaudois alors très bu et exporté côté alémanique.»

Aux alentours des années 1820, le propriétaire du domaine, Charles-Sigismond de Cerjat, fait construire la maison, qui héberge aujourd’hui notamment les bureaux de l’ONG Mercy Ships. À la même époque, il réaménage la ferme et surtout le parc. « Les grands mécènes locaux investissaient beaucoup pour donner à leur domaine un fort caractère pittoresque susceptible d’inspirer les peintres et de flatter les élans préromantiques des promeneurs. Pour cela, ils installaient des ‘ fabriques ’, soit de belles petites constructions imitées du passé. À Rovéréaz, on trouvait ainsi un kiosque, un belvédère, une chaumière à la Marie-Antoinette, une tour médiévale ou encore une balustrade surplombant un précipice », rappelle avec une passion communicative Sylvie Costa. De tout cela, il ne reste malheureusement rien aujourd’hui, à part les charmants petits chemins serpentant dans le bois. Nous empruntons sur quelques mètres celui qui descend en direction de Val-Vert, avant de prendre le bus numéro 7 pour rejoindre notre prochaine escale: le château de Béthusy.

Ce dernier est aujourd’hui tellement inscrit dans le tissu urbain que l’on connaît davantage la très belle et populaire place de jeux située juste à côté. Longtemps, ce monument historique hébergea le Tribunal arbitral du sport. Depuis peu, ce sont les bureaux du Tribunal fédéral qui s’y trouvent. L’édifice ne se visite pas, mais on peut néanmoins toujours arpenter librement son parc. Ce lieu existe depuis le Moyen Âge. «En 1766, deux ailes et une tourelle sont rajoutés. Puis c’est Paul d’Huc qui le rachètera en 1772 et finira de le reconstruire. Ce comte du Saint-Empire romain germanique fréquentait assidûment les grandes familles locales qui se retrouvaient dans les salons pour la sociabilité, c’est-à-dire boire le thé ou le café, s’adonner à des jeux d’esprit, jouer aux cartes, au billard, écouter de la musique ou danser.»

De l’ancien derrière le neuf

C’est aussi cette sociabilité qui sous-tend notre troisième étape que l’on rallie en quelques minutes à pied. Il s’agit du parc de Mon-Repos, où les Lausannoises et Lausannois aiment flâner sans toujours se douter qu’il est classé 1, tout comme de nombreux éléments qui le composent, tels son escalier monumental, ses grilles ou ses fontaines. Là, trône le Tribunal fédéral, plus haute instance juridique du pays, ainsi que des “ fabriques ” encore, dont certaines rappellent le long passage de Voltaire au cœur de la sociabilité lausannoise. Vers 1757, le marquis de Langallerie s’installe à Mon-Repos, fait réaménager la ferme, y fonde un théâtre et invite l’écrivain français qui y monte sa pièce Zaïre avec des acteurs locaux. Le petit bistrot que l’on trouve aujourd’hui dans l’édicule construit à cette époque, la Folie Voltaire, témoigne de ce riche passé.

Au début du XIXe siècle, le domaine de Mon-Repos est racheté par le banquier Vincent Perdonnet. Il y fait reconstruire la maison de maître (qui hébergera au XXe siècle longtemps le CIO), remodèle tous les espaces et fait bâtir l’orangerie, les volières, la ferme, la tour néogothique et l’ensemble du rocher, tous classés 1, ainsi que les serres.

Promenade dans le parc de Mon-Repos

Notre balade continue en direction de la vieille ville, à un quart d’heure de marche. Après avoir traversé le pont Bessières, nous arrivons à l’établissement scolaire du Gymnase cantonal de la Cité, bien visible de la rue. Il occupe deux bâtiments notés 1 au patrimoine vaudois. Le premier est celui de l’ancien hôpital, rêvé par le docteur Auguste Tissot, qui ambitionnait de construire un hôpital pour tous, projet dont l’esprit ne sera finalement pas respecté. Face à lui, la Cathédrale, mais aussi le charmant P’tit Bar, où l’on déguste notamment d’excellents cafés, thés, jus de fruits et salades. Pour rejoindre le second bâtiment, on passe devant la Cathédrale, en direction de la place du Château. C’est là, sur notre gauche, qu’apparaît l’ancienne Académie, édifiée de 1579 à 1587 pour héberger l’école de théologie, lieu de formation de l’élite intellectuelle réformée. L’architecture austère des lieux trahit quelques influences bernoises.

«Même les pasteurs de Genève y passaient, jusqu’à la fondation d’une institution semblable dans leur ville. C’est assez piquant dans la mesure où Genève est la Rome protestante. Pierre Viret, éminent professeur de l’Académie, célébrera le premier baptême protestant à Genève», relève Justin Favrod, rédacteur en chef de la revue Passé Simple. De nos jours, on fait la fête au XIIIe Siècle, un bar-club emblématique, situé à quelques mètres.

Une institution mondialement connue

Nous rejoignons la place de la Riponne par l’avenue Pierre-Viret. En longeant ensuite la rue du Valentin, l’avenue Vinet puis le début de celle des Bergières, nous arrivons à notre dernier arrêt, au château de Beaulieu, où Germaine de Staël, plus connue sous son nom de romancière et philosophe, Madame de Staël, vécut dans son enfance, avec son père genevois et sa mère vaudoise.

Construit entre 1764 et 1776, le bâtiment héberge aujourd’hui la mondialement reconnue Collection de l’Art Brut. Les œuvres, données en 1971 à la Ville de Lausanne par le peintre et sculpteur français Jean Dubuffet, fondateur du concept de l’art brut, avaient débouché sur la création de ce musée et une rénovation en profondeur du château. Un incontournable lausannois que jouxte l’Auberge de Beaulieu, une bonne adresse pour bien manger et mettre agréablement un point final à notre escapade.

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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans The Lausanner (n° 12).