L’apprentissage reste une force du système suisse, et de nombreux titulaires d’un CFC ont accédé à des fonctions dirigeantes, y compris au sein de multinationales. Rencontres avec Christian Brunier, Romain Vetter et Monika Walser, ces apprentis qui ont pris l’ascenseur professionnel.
Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.
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«Le CFC, je considère que c’est une école de vie. Cela nous donne de vrais exemples de professionnels qui sont sur le terrain, qui ont une expertise dans leur domaine et une envie de partager ce qu’ils savent.» En 2001, à Genève, Romain Vetter s’oriente vers un apprentissage d’employé de commerce, sur le conseil de ses parents. Il commence sa carrière auprès de l’assurance privée Elvia, qui sera rachetée cette année-là par Allianz Suisse. «C’était une époque où il y avait déjà très peu de places d’apprentissage. J’ai eu beaucoup de chance d’en trouver une.» Son CFC en poche, il s’envole pour les États-Unis, se lance dans un Bachelor en business administration puis travaille quelques années dans l’e-commerce et le développement de sites internet. De retour en Suisse, il accumule de l’expérience et fait habilement jouer son réseau. En 2021, il devient le directeur romand de la compagnie aérienne SWISS.
En 1979, Christian Brunier, alors âgé de 16 ans, est en passe de terminer l’école obligatoire. Plutôt bon élève, féru de musique, il envisage une filière de CFC. «Je m’ennuyais à l’école et je voulais au plus vite être indépendant financièrement pour pouvoir faire ce que j’aimais pendant mon temps libre.» Il se décide pour une formation d’employé de commerce et après avoir passé des tests dans plusieurs entreprises, l’Etat de Genève et les Services industriels genevois (SIG) sont prêts à l’engager. Il choisit la seconde institution, et en 2015, sans jamais l’avoir quittée, il en devient le directeur général.
À Klingnau (AG), Monika Walser dirige la manufacture de meubles en cuir De Sede et ses 110 employés depuis 2014, après avoir tenu les rênes de l’entreprise de sacs upcyclés Freitag et assuré des fonctions dirigeantes au sein de l’opérateur Sunrise. Sa carrière a commencé par un apprentissage de couturière en haute-couture, qu’elle obtient en 1985. «Sans ce CFC, je ne serai pas devenue la CEO de de Sede, ni la personne que je suis aujourd’hui. Lorsque l’on dirige une usine, il faut avoir une compréhension et une connaissance approfondies du métier. Mon apprentissage de l’époque reste précieux à cet égard.»
Force de proposition
Être apprenti aux SIG consiste à faire des stages de 3 à 6 mois dans les différents départements. Fort de cet aperçu, Christian Brunier décide à l’issue de son apprentissage de rejoindre le service informatique, prêt à l’engager, tout comme l’économat. Il commence par assurer des tâches de programmation avant de se profiler sur la gestion de projets. «A l’époque, les entreprises s’informatisaient et je me disais qu’il fallait en profiter pour réformer les processus. J’en ai fait part au responsable de l’époque, qui trouvait que c’était ‘un peu gonflé’ et qu’il fallait seulement ‘continuer à faire de l’informatique’. Mais le directeur général, qui venait d’arriver, a eu vent de mes idées et m’a engagé comme responsable de la conduite du changement de l’entreprise.» Christian Brunier réalise qu’il est le seul détenteur d’un poste à responsabilités à ne pas être universitaire, et décide de compléter ses connaissances par un MBA à l’ESM, école de management et de communication à Genève. «Sans ce titre, je ne pense pas que j’aurais pu postuler comme directeur général.»
L’audace et la force de proposition représentent certainement deux qualités qu’il faut avoir pour gravir les échelons de la hiérarchie. Mais ce ne sont pas les seules. Autonomie, travail acharné et curiosité, sont aux yeux de Monika Walser ce qui lui a permis de connaître le parcours dont elle a fait preuve. «Je suis responsable dans tous mes processus de pensées, d’actions et de réactions chez De Sede. Je veux rester authentique et alerte afin de ne jamais perdre de vue la vision d’ensemble, de ne pas négliger les petits détails qui comptent.»
Romain Vetter (Swiss), lui, n’avait pas particulièrement envisagé d’accéder à une fonction de directeur. «Je me donne des objectifs bien sûr et j’aime apprendre, mais je prends les expériences comme elles viennent.» Avec un Bachelor complété d’un MBA dix ans plus tard, il se rappelle aujourd’hui avec amusement qu’on lui disait plus jeune que les études, ce n’était pas pour lui.
Trop de règles
«Je me rappelle d’individus exceptionnels, à l’image de ce chef de service à Allianz qui passait des samedis entiers à nous aider à réviser avant les examens finaux. C’est quelque chose que j’essaie d’appliquer maintenant: aider les collègues à se développer.» Au siège romand de Swiss à Genève, on compte un apprenti par année, pour un total d’environ 300 employés. Un chiffre plutôt modeste, qui s’explique selon son directeur par les contraintes, notamment administratives, toujours plus importantes qui sont demandées aux entreprises formatrices. «On est passé d’une absence à un surplus de règlementation. Par le passé, certains jeunes ont vécu un apprentissage difficile, avec des tâches inintéressantes parce que peu de règles existaient. L’évolution actuelle est ainsi positive, mais il ne faudrait pas non plus que les exigences deviennent disproportionnées.»
Les SIG engagent aujourd’hui entre 65 et 70 apprentis par année, sur un total de 1600 employés. L’objectif est de passer à 80. Et l’entreprise tient à n’engager en 1ère année d’apprentissage que des jeunes de moins de 17 ans, pour combler le fait que la plupart des entreprises favorisent les apprentis plus âgés, jugés plus matures. «Ils le sont peut-être effectivement, mais la tendance que le système scolaire a de pousser les élèves à faire des études n’est pas une très bonne chose. Certains ne sont pas faits pour ça, ils suivent une année ou deux de collège ou d’école de commerce et vivent un échec, ce qui est dévalorisant», estime le directeur Christian Brunier.
Chez De Sede, on engage aussi régulièrement des apprentis, que ce soit pour des postes manuels ou de vente. La CEO Monika Walser reconnaît qu’il est difficile de trouver les candidats adéquats, mais observe néanmoins que beaucoup de jeunes prennent plaisir à apprendre un métier. «Je ne pense pas que l’apprentissage soit moins apprécié que par le passé – les jeunes concernés sont conscients qu’il ne s’agit que du début et d’une des nombreuses étapes de leur découverte du monde de l’entreprise. Prendre une décision sur leur propre avenir exige beaucoup de courage, ils doivent se surpasser. Le succès n’est que la suite logique.»