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Fuites en avant

Une affaire Berset, une. Autrement dit: pas grand-chose.

S’ennuierait-on à ce point? Quand nos divers pays voisins et amis se coltinent qui une réforme drastique et impopulaire des retraites, qui une vente historique de chars à un pays en guerre, qui une coalition d’extrême droite au pouvoir, nous en sommes réduits, nous, à ronger une énième affaire Berset.

Affairette serait le terme plus exact. Il semble écrit qu’en limousine, en avion de tourisme, seul ou mal accompagné, au courant de tout ou ne sachant rien, Alain Berset finit toujours par retomber sur ses grosses pattes. Que les polémiques à son sujet s’achèvent toujours de la même façon: dans un petit pschiiit même pas rigolo.

Le problème c’est que pour faire des vagues, ou même simplement des vaguelettes, on ne peut compter apparemment que sur l’Amiral fribourgeois, tant ses collègues au Conseil fédéral se révèlent jour après jour d’une discrétion médiatique digne des moines trappistes. Jamais le mot qui fâche, jamais la plus petite incartade, le plus léger dérapage, semblant cultiver l’art du vide et de l’évanescence, pour un gouvernement tout en ombres chinoises.

On peut encore laisser, certes, le bénéfice du doute aux deux petits nouveaux. Mais avouons que l’espoir de voir Elisabeth Baume-Schneider et Albert Rösti se transformer en bêtes de scène incontrôlables et fascinantes semble plutôt maigre.

Donc, Berset. Comme les autres, cette nouvelle affaire ne semble pas trop bouleverser les foules ni enflammer la rue. L’ex-chargé excommunication de Berset aurait mis en place un système de fuites organisées et systématiques au bénéfice du groupe de presse Ringier. A ce stade déjà, plus personne n’écoute. Parce que le covid c’est déjà loin, le groupe Ringier très abstrait, parce que ça ne s’est pas vu, et surtout parce que chacun ou presque reste sur l’impression que dans cette compliquée situation d’épidémie, Alain Berset a plutôt correctement assuré le taf.

Rien d’étonnant donc si le bon peuple maintient l’homme de Belfaux au plus haut du baromètre de popularité. L’affaire se résume ainsi à une petite danse médiatique du scalp. Exercice convenu qui se termine souvent, lorsqu’il s’agit d’Alain Berset, par beaucoup d’à-plat-ventrisme et un tout petit peu de fiel. Il est vrai qu’en matière de scalp, la question pour le Fribourgeois semble tranchée depuis longtemps.

On ne finit donc pas de s’extasier qu’Alain Berset ait été un athlète de bon niveau et qu’il continue de jouer correctement du piano. On vante sa maitrise, son autorité, son énergie et sa modération tout à la fois. Le seul gros bémol, dans ces portraits si peu assassins, réside peut-être dans ce bruit de couloir: Alain Berset ne serait pas très sympathique avec son petit personnel. Trait de caractère fort répandu mais qui révèle davantage le défaut d’éducation que l’incompétence.

Le landerneau politique se montre encore plus mesuré. Le PLR et le Centre restent à peu près muets, se retranchant derrière l’attente même pas fiévreuse des «résultats d’une enquête en cours». La gauche serre les rangs. Seule l’UDC, qui a toujours eu le Fribourgeois dans le nez, fait un peu semblant de trépigner.

A l’image du sniper valaisan Jean-Luc Addor croyant savoir que «cette succession d’affaires sape la crédibilité» du bonhomme et «celle de la confiance du peuple dans nos institutions». Sans pourtant aller jusqu’à réclamer une démission: «Je sais que ce n’est pas dans la culture politique suisse. C’est à Alain Berset de se remettre en question et de prendre cette décision.» C’est l’un des parlementaires les plus jusqu’au-boutiste qui parle ainsi. On mesure la force de la tempête.

Autant dire que pour l’affaire d’Etat et le tremblement de terre institutionnel il faudra, une fois encore, repasser. Et reconnaître l’habituel génie politique de la Suisse dans ce goût forcené du calme plat.