TECHNOPHILE

Une juge lausannoise censure un site internet

Le site appel-au-peuple.org a été bouclé avant jugement suite à plusieurs plaintes en diffamation. Son promoteur s’en moque et l’a déplacé en Allemagne.

Gerhard Ulrich se frotte les mains. Son site fait le plein de visiteurs malgré la mesure d’interdiction prononcée par la justice vaudoise en décembre 2002. Depuis, fier de son statut de victime, il poursuit son œuvre en dénonçant la «justice corrompue» et «la mafia des juges».

Suite à plusieurs plaintes en diffamation, calomnies et injures, la substitut du juge cantonal d’instruction Françoise Dessaux a ordonné aux principaux fournisseurs d’accès suisses d’empêcher la consultation du site www.appel-au-peuple.org (raison pour laquelle il est probablement inaccessible pour vous).

La juge n’y est pas allé de main morte. Une fois son ordonnance envoyée, il ne reste pas d’autres choix à son destinataire que de s’y plier. Il ne sera possible de juger de son bien-fondé que lorsque l’affaire elle-même sera passée devant la cour. Et ça prendra du temps: les premières plaintes ont été déposées il y a deux ans.

Guido Honegger, directeur du fournisseur argovien Green.ch veut tirer cette affaire au clair, quitte à devoir venir s’expliquer à Lausanne et à risquer l’amende. «Nous contestons l’efficacité de cette mesure et notre responsabilité. Il est admis que c’est l’hébergeur, celui qui rend le site disponible sur son serveur, qui est responsable de ce qui s’y trouve. De plus, le site concerné réapparaît sans cesse sous de nouvelles adresses. Si tous les juges d’instruction suisses se mettent à nous demander de couper des sites chaque semaine, et de corriger les adresses quand les sites en changent, on ne va plus s’en sortir.»

Green.ch a déposé un recours, soutenu par le Verband Telekom Schweiz, association réunissant les grands noms de l’internet et de la téléphonie en Suisse.

Actuellement hébergé en Allemagne, le nouveau site est déjà répertorié par Google qui le classe quatrième pour une recherche avec les termes «association appel au peuple».

«Depuis son interdiction, nous avons vu le trafic augmenter sur notre site, assure son webmaster, et de toutes façons nous sommes déjà prêts à ouvrir des miroirs au Danemark, un pays qui est bien plus à cheval sur la liberté d’expression que la Suisse.»

La méthode rappelle celle utilisée par les promoteurs du site impertinent et anonyme Innocent, créé lors de la fusion entre le Journal de Genève et le Nouveau Quotidien.

«Il est vrai que la mesure semble disproportionnée au vu de son efficacité, commente Marcel Niggli, professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg et fin connaisseur de la responsabilité des fournisseurs d’accès. De plus, toute la procédure est poussée aux limites de ce que le droit prévoit.» Si Green.ch s’expose de manière automatique à une punition pour ne pas avoir respecté l’ordonnance, c’est sa justification même qui semble en doute. «La juge base sa décision sur sa volonté de procéder au séquestre du site, poursuit le professeur. Pourtant il est établi que le séquestre ne peut s’exercer que sur des objets matériels et de plus, son séquestre n’implique pas sa suppression.»

Au vu des kilomètres de commentaires revanchards publiés par Gerhard Ulrich, alimenté en prétendues dénonciations de la corruption de la justice suisse par les quelques 1000 membres de son association, on reste étonné qu’il ne soit visé que par quatre plaintes. «C’est ce que nous recherchons. Il n’y a pas d’autre moyen pour nous de prouver que ce que nous disons est vrai.» Au-delà du syndrome de persécution dont ses membres semblent souffrir, l’association peut faire valoir son droit à la liberté d’expression.

La juge d’instruction affirme quant à elle «qu’il fallait bien que ça s’arrête. Ils n’auraient jamais accepté de retirer uniquement les propos litigieux. La mesure est efficace et de toute façon il n’y en a pas d’autre possible.» Pour appuyer son propos, Françoise Dessaux cite une révision de la loi sur les loteries actuellement en consultation dont l’article 50 menace d’une amende pouvant aller jusqu’à un million de francs celui qui donnera accès à des jeux non prévu par le législateur. Les fournisseurs d’accès sont expressément visés, mais il est encore trop pour savoir si cette révision passera sans encombres aux chambres.