KAPITAL

«Nous avons développé un des logiciels suisses les plus téléchargés par les utilisateurs d’Apple»

Jérôme Bédat est le cofondateur de DigiDNA dont le logiciel «iMazing» s’est imposé comme leader mondial du transfert de données depuis les appareils Apple. Dernièrement, l’entreprise genevoise a aussi permis de déterminer si un smartphone avait été infecté par le logiciel espion Pegasus.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME Magazine.

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«J’ai été très vite fasciné par les ordinateurs, ces machines au champ des possibles en constante expansion. Dès l’âge de cinq ans, j’ai compris qu’il ne s’agissait pas seulement d’un bête téléviseur à usage unique. Avant mes dix ans, j’ai reçu un des premiers ordinateurs du marché, le PC IBM 286. Il était déjà totalement dépassé à l’époque. Tout cela a vraiment éveillé ma curiosité et une passion pour les langages de programmation. J’ai arrêté le collège juste avant l’explosion de la bulle internet. J’avais 17 ans, il y avait une pénurie de développeurs sur le marché et j’ai commencé à travailler dans des start-up genevoises.

J’avais 26 ans lorsque Michael Fuhrmann et moi avons fondé la société DigiDNA. Un troisième associé, Victor Broïdo, nous a très vite rejoint. Nous étions tous fan d’Apple et avions une très grande connaissance de leurs systèmes et de leurs bases de données. Ensemble, nous avons développé «TuneDNA», puis «TuneAid», des outils qui permettaient d’extraire les musiques d’un iPod pour les récupérer sur son ordinateur. Ce second logiciel a eu un petit succès, suffisant pour nous permettre d’en vivre. Nous étions trois jeunes développeurs genevois passionnés. Notre volonté était de concevoir des produits qui ouvrent la porte à un certain nombre de fonctionnalités qui ne sont pas offertes de base dans l’écosystème d’Apple, tout en restant vraiment accessibles pour les utilisateurs.

Quand le premier iPhone est sorti, en 2008, nous en avons ainsi profité pour adapter notre technologie au transfert d’autres types de fichiers et de données. De fil en aiguille, nous en sommes arrivés au logiciel «DiskAid», renommé par la suite «iMazing», dont on estime qu’il a été téléchargé près de 60 millions de fois. Il s’agit d’une plateforme de gestion des appareils mobiles Apple. Elle permet la sauvegarde et le transfert de données comme par exemple des messageries, de la musique, des photos, des contacts, etc. A l’heure actuelle, nous comptons environ deux millions d’utilisateurs actifs par année.

Mes deux premiers associés sont alors partis vivre en Australie. Nous ne partagions plus la même vision pour DigiDNA et avons été amenés à nous séparer. Avec les deux développeurs de l’entreprise, Gregorio Zanon et Jean-David Gadina, nous avons alors racheté les parts de la société et avons poursuivi son développement. Notre chiffre d’affaires s’évalue à plusieurs millions, avec seulement sept employés et les trois associés que nous sommes. On doit compter sur des profils très qualifiés, avec des années d’expérience en programmation.

Nous sommes une équipe de gamers et de passionnés de vieilles machines. Vous devriez voir la collection de Jean-David Gadina, notre développeur principal! À titre personnel, bien que je sois un entrepreneur, je me considère toujours comme un développeur. Je continue à coder, même j’y passe moins de temps qu’aux débuts de DigiDNA. Tous les trois, nous avons notamment été mis à contribution lors des révélations Pegasus qui ont montré comment ce logiciel espion israélien avait été utilisé contre des membres de gouvernements, des journalistes et des militants. En nous basant sur un outil développé par Amnesty International, nous avons très vite ajouté à «iMazing» une fonctionnalité open source permettant à chacun de détecter facilement les traces de la présence de Pegasus sur son téléphone ou un autre appareil. Cela a permis à un certain nombre de cibles potentielles de savoir si elles avaient été touchées.

Aujourd’hui, nous occupons la première place de notre marché et sommes les seuls à développer nos solutions, notamment les outils destinés aux entreprises et aux institutions. Nous utilisons vraiment les appareils Apple à notre avantage et comblons les vides laissés dans leur écosystème. Il n’y a pas de directive anti «iMazing» chez Apple. Ils nous acceptent un peu comme un poisson-pilote sur le dos d’une baleine. Nous avons quelques contacts avec eux, mais globalement ils ne se préoccupent pas de nous.»