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Un anti-conte de Noël

Difficile de trouver des raisons honorables à la tentation genevoise de réintroduire l’interdiction totale de la mendicité.

Dans le rôle de la petite fille aux allumettes, imaginons une mendiante roumaine. Celle par exemple qui avait réussi, en janvier dernier, et par les bons services de son avocate, à convaincre la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), de décréter que la loi genevoise interdisant la mendicité était contraire «à sa liberté élémentaire».

À savoir la liberté de tendre la main pour survivre, ou comme l’avait expliqué l’arrêt de la Cour, «placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité». Quant à la sanction infligée de 500 francs, convertie en 5 jours de détention après non-paiement, la même Cour l’avait estimée «pas nécessaire dans une société démocratique».

Genève du coup, suspendait la loi, tandis que les radicaux esquissaient un nouveau projet de loi tenant compte de l’arrêt de la CEDH, mais tellement restrictif que, comme l’avait plaisamment commenté le conseiller d’État Mauro Poggia, il revenait à n’autoriser la mendicité «que dans les vignes de Satigny». Tendre la main en effet n’aurait plus été interdit «que» dans «une rue, un quartier ou une zone ayant une vocation commerciale ou touristique prioritaire».

Mais c’était encore trop. L’Entente, le MCG et l’UDC reviennent donc à la charge en proposant une nouvelle législation qui réintroduit en réalité, de facto, l’interdiction totale de la mendicité dans les rues du canton. Une loi, qui doit encore être avalisée par le Conseil d’État et qui reprend ce que la CEDH avait estimé illicite, notamment sous l’angle de la proportionnalité.

Il semblerait pourtant que cette interdiction, lorsqu’elle était en vigueur, à savoir entre 2008 et 2020, avait déjà fait la démonstration de maints petits côtés ubuesques, comme amender des gens qui n’ont pas le sou et qui donc ne payeront jamais. Gens en errance de surcroît et sans domicile fixe, donc difficile à localiser. C’est ainsi que durant ce laps de temps, comme l’avait révélé «Heidi.news», 35’000 amendes ont été distribuées, pour un total de 4 millions de francs, dont il n’a pu être encaissé que le 1,17%.

Face à une loi contraire aux plus élémentaires droits de l’homme et débouchant sur un désastre administratif, la question peut se poser: quelles sont donc les motivations de ceux qui veulent à tout prix interdire la mendicité?

Le seul argument à peu près rationnel qui militerait en faveur d’une telle interdiction serait de voir derrière chaque sébile la présence de réseaux organisés et de trafiquants d’êtres humains. Mais il semblerait qu’en 12 ans d’existence la loi n’ait pas permis d’en démanteler un seul. Pire, là aussi, le sourcilleux, l’agaçant Conseil de l’Europe a donné, comme le rappelle «Le Temps», son enquiquinant avis. Comme quoi même si de tels réseaux existaient les mendiants en étaient les victimes, non les instigateurs, et qu’il était donc parfaitement inique de vouloir les punir eux.

Reste toute une petite série de raisons, bien plus honteuses et méprisables que l’humble geste de tendre la main. Citons, au hasard, l’électoralisme, la démagogie la plus crasse, au service de sentiments minuscules. Comme trouver que la présence de mendiants occasionnerait de la gêne et gâcherait le plaisir des acheteurs compulsifs rue du Rhône, ou des Japonais pâmés devant le jet d’eau, ou nuirait à l’image du canton.

Sans parler de ce fait accablant et définitif, déjà remarqué par Anatole France, dont on a largement oublié qu’il fut l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’Homme: «La mendicité n’est interdite qu’aux pauvres.»