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«Le Fils» des Dardenne n’est pas un film généreux

La critique, unanime, le présente comme un chef d’oeuvre. Mon impression est plus mitigée face à l’orgueilleuse austérité de ce suspens humaniste, plus manipulateur qu’il n’y paraît.

Quand la presse est unanime, ce n’est jamais bon signe. Surtout quand elle l’est dans les médias de gauche comme de droite.

En général, ce type d’unanimité se manifeste en trois circonstances: l’hommage à un maître mort depuis longtemps et dont l’oeuvre fait l’objet d’une rétrospective; la reconnaissance tardive d’un cinéaste dont le style aurait changé l’orientation de l’histoire du cinéma; la peur de passer pour un ignare devant un phénomène de mode, et surtout, dans le cas du «Fils», de paraître futile et sournois devant un film qui prône le pardon, revendique son humilité documentaire, défend une posture d’auteur et encourage une esthétique de la pauvreté.

Dans son orgueilleuse austérité, «Le Fils» intime l’ordre de l’admirer. C’est assez agaçant.

Depuis «Rosetta», les frères Dardenne ont pris l’habitude de filmer dans la nuque de leur personnage. Pendant vingt minutes donc, ils filment le cou, le dos et le derrière des oreilles d’Olivier (Olivier Gourmet, prix d’interprétation à Cannes) qui s’agite dans son atelier de menuiserie, montant et descendant frénétiquement les escaliers, pour suivre, épier et filer un nouvel apprenti qu’il vient de refuser comme élève.

On saura pourquoi après une demi-heure de film car «Le Fils» est découpé en trois temps: le personnage principal possède un secret que nous ne connaissons pas; nous apprenons la raison pour laquelle la présence du jeune homme suscite tant d’agitation chez Olivier mais le jeune apprenti ne se doute de rien; tout le monde sait.

Sait quoi? Que l’adolescent qu’Olivier a refusé dans un premier temps n’est autre que l’assassin de son fils!

A quoi sert la première partie du «Fils»? A exposer les faits et les personnages, mais aussi à identifier immédiatement le style des Dardenne: caméra à l’épaule à vous donner des hauts le coeur, manière de coller au personnage sans jamais le lâcher, mise en place silencieuse et très physique du drame.

On admire la virtuosité tout sauf improvisée des deux frères (certaines scènes sont tournées jusqu’à vingt fois), mais on se demande si ce savoir-faire est approprié à l’ouverture d’un film qui se veut tout sauf hystérique.

Dans «Rosetta», petite guerrière qui passe sa vie à courir, la méthode avait du sens. Dans «Le Fils», hormis épouser le point de vue subjectif d’Olivier, le principe apparaît plutôt comme une ruse: créer de toutes pièces un suspens comme si les Dardenne avaient voulu ferrer le spectateur avec un mystère que l’on peut imaginer graveleux – la piste pédophile n’est pas à exclure – puis le punir de sa vilaine curiosité en lui faisant subir l’épreuve du «tambour de machine à laver enclenché sur la touche essorage».

S’il en ressort sans avoir vomi, il peut rester dans la salle et assister au cours de menuiserie, infiniment plus calme, qui ouvre la seconde partie du film.

Olivier va finalement accepter l’adolescent comme apprenti – tout en refusant de l’appeler par son prénom, Francis. Il va lui apprendre les secrets du bois mais aussi les lois de la bonne mesure – le premier exercice de Francis consiste à apprendre à plier et déplier un mètre.

Car tout se mesure chez ce maître en ébénisterie. C’est probablement ce qui lui a permis de ne pas devenir fou après la mort de son fils, sa manière à lui de se mesurer au monde. Cette deuxième partie, très documentaire, est peut-être la plus belle, la plus simplement matérielle, même si les métaphores christiques (le gamin porte son madrier comme une croix, le père se serre la ceinture, les deux clouent allègrement) manquent de finesse. C’est au cours de ce chapitre 2 que nous apprenons que Francis, alors âgé de onze ans, a tué le fils d’Olivier.

Et comment l’apprend-on? Par l’ex-femme d’Olivier. Son personnage n’est quasiment pas traité mais sa fonction est capitale: mettre le spectateur dans la confidence, lui révéler le secret qui peut faire démarrer la troisième partie. Là encore, j’éprouve une certaine réserve par rapport à la supposée générosité des Dardenne.

Comment concilier une vision humaniste, généreuse, incluante du monde et en même temps instrumentaliser à ce point un personnage, le réduire à un simple besoin de scénario, le transformer en panneau indicateur?

Dans la voiture qui les conduisent à la scierie du frère d’Olivier, le maître sonde l’élève sur son passé. Pourquoi a-t-il fait de la prison? Regrette-t-il ce qu’il a fait? Le dialogue est excellent, la tension parfaite.

L’apprenti ne sait toujours pas qu’il s’adresse au père de sa victime. Innocent, il lui demande de devenir son tuteur. Embarras d’Olivier. Ce quart d’heure dans la voiture est magnifique d’ambivalences et de demandes contradictoires.

Olivier ne peut plus garder son secret: au cours de leur visite dans la scierie, il lui dit: «Je sais que c’est toi qui a tué mon fils». Est-ce le signe d’une amnistie, d’une acceptation de la vie de l’autre, ou au contraire, comme l’imagine Francis, une déclaration de guerre? Fuite, bagarre, abandon des armes.

Quelques minutes plus tard, les deux hommes chargent leur camion de planches.

On voudrait que le film commence. C’est là qu’il s’arrête par une fin expéditive, banalisant toutes les tensions qui précèdent. C’était une fable singulière, cela devient un catéchisme de gauche. De leur hauteur d’auteurs, les frères Dardenne forcent les deux hommes à se réconcilier au lieu de laisser les personnages résoudre leur conflit, dans la logique qui est la leur, irrésolue, paradoxale, animale.

Par cette fin prêchi-prêcha, fondée sur rien sinon une idée préconçue du pardon, les frères Dardenne se comportent en marionnettistes manipulateurs, à l’égard du spectateur mais surtout de leurs personnages.

Réserves donc sur «l’humanité grandiose» d’un film puissant par moments, certes, mais trop soucieux de lui-même pour être l’oeuvre généreuse que la critique encense.