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À votre santé!

Les freins à l’aide publique aux assurés-maladie en difficulté sont aussi nombreux que troubles: fédéralisme exacerbé, lourdeur des institutions, röstigraben. Ainsi que certaines réticences un peu suspectes.

«De la sculpture sur nuages.» C’est ainsi que la sénatrice PS Marina Carobbio Guscetti a qualifié le coup de force du Conseil des Etats contre une aide aux assurés étranglés par les primes maladies. Coup de force qui a pris la forme d’un refus d’entrée en matière sur un contreprojet prévoyant des dépenses supplémentaires de 1,3 milliard pour la Confédération et de 900 millions pour les cantons.

Et sculpture sur les nuages, tant l’argument mis en avant par le meneur de la fronde, le centriste Benedikt Würth, a pu paraître abscons: invoquer le fédéralisme et le poids trop lourd que cela ferait peser sur certains cantons économiquement moins favorisés que d’autres, le tout assorti d’une proposition plutôt fumeuse de rediscuter ces subsides dans le cadre lointain d’une future réforme de la péréquation financière.

À l’inverse, les arguments en faveur d’une aide accrue paraissent limpides et peu discutables, s’appuyant sur des réalités quasi mathématiques: les primes ont doublé ces vingt dernières années alors que les salaires sont restés stables. Avec comme conséquence, pour certains assurés, de devoir désormais consacrer 20% de leurs revenus à régler les primes.

Dans cette affaire, on voit que le sacro-saint fédéralisme, si utile pour répartir et disperser les pouvoirs – et donc favoriser la stabilité politique et au bout du compte la prospérité du pays –, s’avère ici un frein particulièrement dommageable.

Même si le refus d’entrée en matière est parti d’un centriste, c’est le président du Centre Gerhard Pfister qui a rappelé le plus virulemment une évidence: «Les réductions de primes sont un instrument important pour l’équilibre social et pour la protection du pouvoir d’achat de la population.» Et que donc s’y opposer constituait «une erreur de jugement».

Cette dissidence à l’intérieur même d’un des principaux partis gouvernementaux dévoile un autre frein à la volonté politique de venir en aide aux assurés sinistrés: la lourdeur des institutions. Le texte snobé par le Conseil des Etats a en effet une longue histoire. Au départ, on trouve une initiative du PS proposant de limiter à 10% du revenu de chacun le montant de sa prime maladie. Initiative à laquelle le Conseil fédéral rétorquait par un contre-projet indirect, retoqué à son tour parle Conseil national, dont la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS) concoctait, après moultes négociations, le texte que le Conseil des Etats aujourd’hui envoie aux oubliettes.

Le message délivré aux assurés par cette épaisse soupe parlementaire est pourtant, lui, transparent: aide-toi et le ciel t’aidera. Pour le plus grand bonheur des partisans d’une rigueur financière sans état d’âme, quelle que soit l’âpre réalité des situations. A l’image d’un parti radical demandant où donc trouver cet argent supplémentaires alors que la Confédération prévoit un déficit de 2,4 milliards en 2024.

Mais là encore tout est brouillé. En juin dernier, c’est un parlementaire PLR, le valaisan Philippe Nantermod, qui avait fait valider par le Conseil national une initiative parlementaire invitant les caisses-maladies à cracher au bassinet, sous forme de redistribution aux assurés de leurs faramineuses réserves, «trésor de guerre immense».

Seules l’UDC et une partie du Centre avaient voté contre, avec des exceptions notables en Suisse romande. Car oui, le röstigraben vient s’ajouter comme un obstacle supplémentaire à l’aide publique aux règlements des primes. L’initiative du PS serait ainsi sans doute acceptée en Suisse romande et massivement boudée en Suisse alémanique.

On ajoutera un dernier élément, légèrement complotiste, de résistance à la volonté politique de venir aux secours des assurés. Lors du débat de juin dernier, aucun des opposants à la proposition Nantermod de faire payer les caisses ne s’était aventuré à prendre la parole. Comme s’il fallait que cela ne se voie pas trop. Comme s’il y avait quelque chose à cacher. Serait-ce possible dans une démocratie aussi saine et transparente que la nôtre?