KAPITAL

Entreprises au bord de la faillite: se battre ou renoncer

Ambitions démesurées, manque de recul, incapacité à mener une transition nécessaire: le déclin d’une entreprise s’opère souvent de manière insidieuse, par une accumulation de mauvaises décisions. Il s’agit pour l’entrepreneur en premier lieu d’identifier l’origine des problèmes. Conseils et témoignages.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.

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En Suisse, moins de la moitié des nouvelles entreprises survivent après cinq ans, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Le pays enregistrait ainsi 14’081 procédures de faillites en 2021 – un chiffre relativement stable d’une année à l’autre, malgré une légère hausse par rapport à la période d’avant-pandémie en 2019 (+1,7%). Le risque d’échouer constitue une éventualité à laquelle s’expose tout créateur d’entreprise. De fait, la déroute est inhérente à l’aventure entrepreneuriale, une idée innovante ne suffisant pas à garantir la réussite. Douloureux, l’échec se révèle néanmoins souvent une précieuse source d’enseignement et peut également pousser les entrepreneurs à développer des idées inédites. Qu’il s’agisse d’une petite erreur ou d’un immense obstacle, la manière de considérer l’échec, non pas comme une finalité mais comme une opportunité, peut alors faire toute la différence.

Reconnaître ses erreurs

Commettre une erreur de jugement en se trompant de cible ou en sous-estimant la concurrence ne constitue pas une fatalité en soi. Un entrepreneur aura cependant intérêt à se corriger au plus vite afin que l’erreur ne se transforme en une difficulté infranchissable. «Simko a fait face à un grand revers lorsqu’elle s’est établie à Zurich, notamment en raison d’une culture d’entreprise très différente de celle présente sur l’Arc lémanique», se souvient Josée Bélanger, cofondatrice de l’agence de publicité genevoise, rachetée en 2005. L’important a été de rapatrier en douceur les clients et les équipes de Zurich à Genève. Ce choix a certes eu pour conséquence, comme des coûts de fermeture, la perte de certains talents, mais a par ailleurs permis de réaffirmer la culture d’entreprise à Genève, ce qui fut très positif.»

Reconnaître et accepter un échec peut toutefois s’avérer difficile. «Il faut veiller à conserver une vision large et ne pas hésiter à redéfinir ses objectifs si nécessaire, détaille Réginald Bien-Aimé, coach pour start-up et fondateur des événements «Fuckup Nights» en Suisse romande, qui visent à déconstruire les tabous autour de l’échec au travers de témoignages d’entrepreneurs ayant connu des difficultés professionnelles. Or, l’ego joue parfois un rôle dans l’incapacité à tirer la sonnette d’alarme assez tôt. Il s’agit alors de ne pas confondre détermination et acharnement. Les retours de clients, d’entrepreneurs ou des équipes à l’interne peuvent par ailleurs constituer une aide très utile afin de savoir quand et comment se réorienter.»

Repenser sa stratégie

Une entreprise au bord de la faillite se trouve souvent face à un besoin urgent de réajuster ses processus ou la manière dont elle se positionne sur le marché. Avant toutefois d’entamer des démarches pour obtenir des soutiens financiers, il s’agit d’abord de se demander comment regagner en efficacité et en compétitivité. Convaincu du potentiel de la société de jeux magnétiques, un groupe d’entrepreneurs rachète Geomagworld, alors en faillite, en 2008. Parmi eux, Filippo Gallizia, aujourd’hui CEO de l’entreprise. Il résume l’état d’esprit qui a permis de surmonter les difficultés pour en faire aujourd’hui l’un des leaders mondiaux dans le domaine: «Redresser une entreprise implique une phase de réflexion intense afin de déterminer où se situent les opportunités du marché et de reconsidérer la gestion, la mission et les valeurs de la société. Dans la majorité des cas, les apports d’argent ne servent qu’à la survie d’une stratégie qui ne fonctionne plus.»

Un point de vue partagé par Marc Durst, fondateur de l’entreprise fribourgeoise Sushi King, disparue en 2002: «Après deux ans et demie très compliqués, le chiffre d’affaires généré permettait enfin à l’entreprise de tourner plus ou moins. Mais, les pertes accumulées jusqu’alors en raison d’un produit arrivé trop tôt sur le marché restaient telles qu’il aurait quand même fallu 15 ans pour tout rembourser. Il valait mieux renoncer pour repartir sur de meilleures bases.»

Bien choisir ses associés

Les divergences d’opinion entre associés quant à la manière de gérer et de faire prospérer une entreprise constituent l’un des points communs aux nombreux récits de chefs d’entreprise qui ont connu l’échec. «Souvent, l’enthousiasme pour l’idée de l’entreprise prime sur le choix d’un partenaire, ce qui laisse peu de place à la vérification des compatibilités en matière de vision, de stratégie ou d’objectifs. Il est toutefois primordial de s’accorder sur la façon de relever les défis et les succès futurs», souligne Romina Henle, experte en coaching et fondatrice des «Fuckup Nights» Lugano. La directrice de Simko, Josée Bélanger abonde: «Il existe une différence entre le fait d’envisager la réussite comme une façon de grandir, c’est-à-dire de gagner en compétences, en culture d’entreprise, en qualité et en plaisir, en restant sur un marché de niche, ou de grossir, où il s’agit plutôt d’accroître les équipes afin de conquérir des parts de marché. Grossir est l’unique option qui a été privilégiée pour le rachat de Simko. Une telle décision peut ne pas être très durable. Ce fut malheureusement le cas.»

Des différences peuvent aussi exister au niveau des compétences attendues et du sérieux dans le travail. Une leçon que Marc Durst a dû apprendre à ses dépens: «Une erreur d’appréciation quant à la motivation de mon associé et à sa capacité à recruter les bonnes personnes a engendré un manque de savoir-faire et de compréhension du domaine dès le départ, qu’il a fallu combler après-coup, au prix d’une immense perte d’énergie et d’argent.»

Ne pas s’isoler

Traverser seul une période de crise se révèle particulièrement difficile mais également risqué. «Dans une telle situation, un entrepreneur peut facilement céder à la tentation de s’isoler, alors qu’il faudrait au contraire qu’il s’entoure de personnes capables de le pousser tous les jours à envisager de nouvelles solutions», constate le coach Réginald Bien-Aimé.

Une analyse partagée par Filippo Gallizia de Geomagworld, pour qui l’entourage conditionne véritablement la possibilité d’un changement concret: «Il est quasiment impossible de relever tout seul une entreprise en grande difficulté. Non seulement en termes d’énergie, mais aussi en raison d’un contexte souvent peu favorable au changement. Il est donc nécessaire de trouver des partenaires – experts financiers, spécialistes en management, en contrôle commercial, etc. – qui puissent insuffler un nouveau souffle afin de repenser différemment l’avenir de l’entreprise.»