GLOCAL

Tout ça pour ça?

Le retour à une vie presque normale après trois mois d’une crise lunaire sonne l’heure des bilans comparatifs. Qui pourrait s’avérer aussi celle des grandes perplexités.

On pourra donc, dès le 6 juin, toucher à nouveau au nirvana en empruntant des remontées mécaniques, en allant au zoo, au théâtre, au cinéma. En pataugeant dans les piscines, en campant, en traînant en discothèque, en utilisant des services de prostitution. En passant la frontière – sauf en direction, de l’Italie ce qui ôte quand même une bonne partie de son sens à la mesure. En partant en camp de vacances, en jouant à la baballe, à condition que ce ne soit que sous l’oeil de trois pelés et deux tondus.

Dans l’enthousiasme de cette fin d’une crise lunaire qui aura duré trois mois, la présidente Sommaruga s’est même laissée aller à distiller de croustillants détails sur ces bonheurs quotidiens retrouvés. Comme oser de nouveau «inviter des gens à son anniversaire», ou plus fou encore «jouer au jass en toute sécurité». Bref le rêve éveillé d’un retour à la vraie vie.

Une vraie vie qui risque quand même de s’avérer un brin différente de ce qu’elle fut. Difficile d’anticiper, par exemple, quelles seront les conséquences sur nos folles et libres existences de la mise en place imminente du tracing – traçage en bon français.  Ni si le souhait déjà proclamé du Conseil fédéral de voir le télétravail largement devenir la norme se réalisera.

Bien sûr, il est trop tôt pour tirer un bilan global de ces trois mois de vie sous cloche, mais un regard intermédiaire posé sur les différentes façons qu’ont eu les pays européens de gérer cette affaire pourrait déboucher sur quelques vilaines pensées. En Suisse, comme ailleurs, on a regardé par exemple avec autant de jalousie que d’effarement la Suède continuer à vivre comme si de rien n’était ou presque. Il était donc intéressant d’y aller voir.

Le média numérique Heidi.news s’est ainsi livré à une comparaison fouillée entre les résultats suédois et ceux du pays qui a le plus sévèrement confiné en Europe, à savoir l’Italie. Or malgré les nombreuses différences entre les deux pays, s’agissant notamment des systèmes de santé ou de la densité de la population, le résultat peut sembler tout de même un peu embarrassant puisqu’il s’agit globalement d’un match nul.

En Italie le nombre de cas confirmés par million d’habitants est de 3801 quand en Suède le même nombre se monte à 3315. Quant au nombre de morts, toujours par million d’habitants il s’élève à 542 pour l’Italie et à 396 pour la Suède. Plus curieux encore, les conséquences économiques, même s’il ne s’agit que de prévisions, ne sont pas très différentes d’un pays à l’autre. Avec une récession estimée à 10% pour l’Italie et entre 7 et 9% pour la Suède. Le taux de chômage en Italie passerait de 10 à 12,7 %  et en Suède de 7,2 à 10%. ce qui laisserait à penser que, confinement ou non, l’impact général de la pandémie est à peu près les mêmes. La Suisse, qui a moins confiné que l’Italie mais plus que la Suède, se retrouve pourtant plus ou moins dans la même fourchette que les deux s’agissant des cas déclarés mais bien en dessous quant au nombre de morts. Bref le mystère s’épaissit.

Dans la revue The Lancet l’épidémiologiste suédois Johan Gieseke prédit que ce match nul se maintiendra jusqu’au bout: «un confinement peut retarder les cas graves pendant un certain temps mais une fois les restrictions assouplies les cas réapparaîtront. Je pense que lorsque nous compterons le nombre de décès dus au COVID-19 dans chaque pays dans un an les chiffres seront similaires quelles que soient les mesures prises».

Ce qui pourrait bien plonger tout un chacun dans un abîme de perplexité. Et encourager l’idée, aussi populaire que populiste, que décidément la sphère politique et les actions qui en découlent se résumeraient à un théâtre grandiloquent sans réelle influence sur le véritable cours des choses. Comme on le sait depuis toujours au café du Commerce. Santé, conservation.